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«La Suisse n’est pas en retard»

Trop lente, l'évolution des droits des homosexuels en Suisse? L'éclairage du chercheur lausannois Thierry Delessert.

Historien, Thierry Delessert est chargé de cours à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Auteur de «Homosexualités masculines en Suisse: de l’invisibilité aux mobilisations», il estime que la politique suisse des «petits pas» n’est pas si mauvaise.

360° – On a parfois l’impression de faire tout plus lentement que les autres…
thierry_delessertThierry Delessert – Et pourtant la Suisse n’est pas en retard, sinon on ne verrait pas des couples de même sexe se bécoter dans le métro. Notre pays a toujours été perçu comme un pays plutôt tranquille pour les homosexuels. Même si notre démocratie demande du temps, nous ne sommes pas à la traîne: la culture du consensus et l’existence d’une Suisse urbaine et avancée permettent d’avancer, comme l’ont montré les dernières votations. On se compare toujours aux autres mais il ne faut pas oublier que si nos voisins européens avaient dû voter, la loi n’aurait peut-être pas avancé du tout. Lorsque François Hollande a lancé le projet du mariage pour tous, les gens sont descendus dans la rue pour protester! Et au vu des restrictions qu’il comporte – interdiction de la PMA notamment – il ressemble finalement beaucoup à notre partenariat enregistré. 

– Alémaniques et Romands envisagent-ils l’homosexualité de la même manière?
– Non, on peut même dire qu’il y a un Rheingraben, car la situation en France ou en Allemagne, qui influencent ces deux régions linguistiques, n’est pas semblable. Autrefois, Paris pratiquait une homosexualité d’élite, discrète, dans des appartements fermés tandis que Berlin faisait la fête, s’exprimait beaucoup plus librement. En résulte le fait qu’on est plus discret en Romandie qu’en Suisse alémanique, où des soirées dansantes pour homosexuels ont été organisées très tôt à Zurich ou à Berne.

– Le fait d’être catholique ou protestant joue-t-il aussi un rôle?
– Là encore, on peut être surpris: ce sont les catholiques qui, les premiers, ont pris l’initiative de placer les pratiques homosexuelles et hétérosexuelles non-procréatives au même niveau dans les années 1970. Un progrès relatif, puisqu’ils les considéraient toutes deux comme une dépravation, mais ils avaient de l’avance sur les protestants grâce à l’organisation de synodes – une sorte de débat pré-parlementaire – dans les diocèses à la suite de Vatican II. Ensuite, les protestants ont repris le lead car le Vatican a tapé sur les doigts des catholiques suisses en 1975. En comparaison, l’Église catholique française est totalement inféodée aux dogmes conservateurs du Vatican.

– Comment à votre avis la situation va-t-elle progresser dans les prochaines années?
– Lentement mais sûrement, comme on en a l’habitude en Suisse. Voyez le PDC revenir à l’assaut après sa défaite du 28 février, avec une motion parlementaire dans laquelle il inclut cette fois-ci aussi les partenariés! La politique du saucissonnage – le fait d’atteindre un but à petits pas – fonctionne bien dans notre pays.

Un siècle d’avancées

Tour d’horizon en quelques dates des avancées pour les homosexuels suisses.

1920-1930 Plusieurs initiatives en Suisse alémanique pour créer des associations réunissant des homosexuels et lutter contre l’homophobie. Dès le départ, les lesbiennes sont doublement invisibilisées: dans les esprits, l’homosexualité est une pratique masculine.
1930-1940 Zurich devient un lieu d’accueil pour le mouvement allemand visé par le nazisme. Au milieu d’une Europe fascisante, la Suisse se transforme en centre européen du mouvement de libération des homosexuels.
1942 Promulgation du nouveau Code pénal fédéral indiquant que les relations consenties entre adultes de même sexe ne sont plus punissables. «C’est un progrès, même si le changement est porté par la Société Suisse de Psychiatrie avec l’argument que les homosexuels étant des malades, il est absurde de les emprisonner», commente Thierry Delessert, historien à l’Université de Lausanne. La prostitution et la pratique de l’homosexualité avec des mineurs de 16 à 20 ans sont punies «pour éviter que les mineurs ne soient ‘influencés’ par des homosexuels», explique Thierry Delessert. Dans les cantons romands qui avaient totalement dépénalisé l’homosexualité, ce Code introduit de nouvelles sanctions, mais il représente une avancée en Suisse alémanique où prédominait le droit pénal allemand punissant les relations sexuelles entre des hommes de tout âge.
1950-1970 Dans l’atmosphère paranoïaque de la Guerre froide, l’homosexuel, jugé veule et féminin, est perçu comme l’ennemi interne par excellence. Interpol lance une vaste enquête en 1957 sur son potentiel criminogène et dans les parcs de Genève et de Zurich, les razzias policières se succèdent. Les gays sont surveillés et fichés, une pratique autour de laquelle le tabou demeure alors que les registres ont été abrogés dans les années 1990. «Contrairement aux Romands, les autorités alémaniques ont avoué leur existence», souligne Thierry Delessert.
1974 Une commission d’experts qui planche sur la révision du Code pénal décide d’abolir la pénalisation de l’homosexualité. Cette décision révèle un changement militant car les associations homosexuelles, par des courriers et des auditions, parviennent à se faire reconnaître comme des interlocuteurs valables auprès des autorités.
1979 Première Journée fédérale de libération homosexuelle à Berne. Les manifestants revendiquent un âge de consentement égal pour tous, la suppression des fichiers de police recensant les homosexuels et la reconnaissance légale des couples gays et lesbiens. Dans les années 1980, il est aussi question de réviser la Constitution fédérale en matière de non-discrimination de l’orientation sexuelle.
1985 Large approbation par les partis politiques, les cantons et les associations consultées de l’abrogation de l’article 194 du Code pénal qui pénalisait l’homosexualité.
1992 L’UDF lance un référendum contre la révision, mais le perd à plus de 73% des voix. C’est aussi l’année du début du processus législatif en faveur du partenariat enregistré à Zurich et à Genève. «Comme souvent en Suisse, on attend de voir ce qui se passe au niveau cantonal avant de se lancer au niveau national», explique Thierry Delessert.
2005 La loi sur le partenariat enregistré (LPart) est acceptée en votation populaire (par 58% des voix) et entre en vigueur le 1er janvier 2007.