Étudiants LGBTQ+ dans le collimateur du pouvoir turc

Confronté à des universités en ébullition, le pouvoir islamiste autoritaire cherche à discréditer le mouvement. L'exposition d'une image de la Kaaba ornée d'un drapeau arc-en-ciel lui en fournit l'opportunité.
Une soixantaine de personnes se trouvaient hier encore en détention à Istanbul après les manifestations de dimanche à l’université du Bosphore. La prestigieuse institution est secouée depuis début janvier par des protestations contre son nouveau directeur, nommé directement par le président Recep Tayyip Erdogan.
Les étudiants LGBTQ+, aux avant-postes des mobilisations universitaires ces dernières années, sont désormais directement dans le collimateur du pouvoir autoritaire. Ce dernier a pris pour prétexte l’exposition, sur le campus stambouliote, d’une représentation modifiée du sanctuaire islamique de La Mecque. L’image est flanquée de drapeaux LGBTQ+ et la Kaaba remplacée par la Shahmaran, chimère de la mythologie anatolienne. Le collage a été le déclic d’une vaste campagne visant à discréditer la protestation étudiante.
L’affaire a enflammé les réseaux sociaux, galvanisés par un tweet du ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu traitant les LGBT de «pervers». Le porte-parole d’Erdogan a parlé, quant à lui, d’une «minorité sans retenue» qui veut «commercialiser l’immoralité» et propager sa «façon pervertie de penser et de vivre». Lundi, dans un discours virtuel à un congrès des jeunes de son parti, le président Erdogan lui-même avait félicité son public de ne pas être des jeunes «vandales» LGBT. Même des représentants du parti d’opposition laïc CHP ont condamné le collage «blasphématoire».
The artwork in question is a digital collage. A humble carpetwork -an object of ‘kitschy’ domestic decoration in Turkey- depicting the Masjid al-Haram is superimposed with the chimeric figure of Shahmaran. Lounging on a verdant bush, she occludes the Kaaba. pic.twitter.com/HrLFvHay3p
— Meriç (@mericoz_) January 30, 2021
Quatre étudiants soupçonnés d’être mêlés à l’exposition controversée ont été arrêtés pour «incitation à la haine» (sic); deux d’entre eux étaient encore détenus hier. Dans la foulée, le rectorat de l’Université du Bosphore a dissous l’association des étudiants queer, dont les locaux ont été perquisitionnés et le matériel saisi, rapporte l’organisation Kaos GL.
«On ne baisse pas les yeux»
Les associations LGBTIQ+ nationales ont réagi en lançant l’appel #AşağıBakmayacağız («Nous ne baisserons pas les yeux»), slogan choisi en réponse à un policier qui avait lancé «Baissez les yeux, insolents!» à des étudiants arrêtés. «Les autorités doivent immédiatement arrêter de violer nos droits démocratiques avec cette campagne de diffamation. Nous en appelons aussi à la société civile pour qu’elle combatte ces discours de haine et ces crimes contre les LGBTI+ qui pourraient mettre nos vies en danger.»
Des manifestations de soutien ont eu lieu dans plusieurs villes turques (ci-dessous Ankara), où elles ont été réprimées par la police, ainsi qu’à l’étranger.
Ankara bugün yapılan #BoğaziçiÜniversitesi'ne destek eyleminde neler yaşandı? #ÖZGÜRÜZRadyo sizler için yerinden derledi. #AsağıBakmayacağızhttps://t.co/4cVmas6mnu pic.twitter.com/cc05rIpf8G
— #ÖZGÜRÜZRadyo (@Ozguruz_org) February 2, 2021
La situation est également scrutée depuis le Parlement européen. «Faire des LGBTI des boucs-émissaires est une tactique dangereuse», a averti l’Allemande Terry Reintke, vice-présidente du groupe vert.