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«Le pouvoir hongrois se fiche de la vie des gens»

«Le pouvoir hongrois se fiche de la vie des gens»
Manif devant le palais présidentiel Sandor, pour appeler le chef de l'État à ne pas signer le décret anti-trans*.

Le recul des droits LGBTQ+ est tangible en Ukraine et en Hongrie, où les voix militantes ne se laissent pas réduire au silence. Le point avec un journaliste queer et un activiste de ces deux pays.

Fin mars, l’Europe découvrait comment les autorités hongroises avaient entrepris de rendre légalement impossible tout changement de sexe à l’état-civil. La semaine dernière, une majorité écrasante du Parlement dominé par le parti Fidesz a adopté une loi qui définit le sexe comme une donnée génétique immuable, avec des conséquences dramatiques pour les personnes trans*. Le texte est désormais entre les mains du président, János Áder.

Le Premier ministre Viktor Orbán exploite sans vergogne la crise actuelle du Covid-19 pour accélérer sa politique. Une stratégie pas si probante, selon le journaliste queer Ádám András Kanicsár, qui travaille pour plusieurs médias hongrois indépendants et est aussi l’animateur de Magic Mirror, espace LGBTQ+ au sein du festival de Szigét. Il relève que l’atteinte aux droits des trans* et intersexes a fait l’objet d’une importante couverture médiatique et d’une mobilisation sans précédent sur les réseaux sociaux. «En temps normal, la communauté LGBTI est plutôt passive, peu portée sur la défense de ses droits, mais là depuis ces attaques, elle se renforce et fait entendre sa voix de plus en plus fort. Et je pense qu’avec ces dispositions transphobes, on a atteint un pic. Je n’ai jamais vu autant d’articles et de prises de parole au sein de la communauté, encouragées par l’écho formidable que cette affaire a eu dans les médias français, britanniques, allemands, etc. C’est à la fois triste de voir cela arriver et réconfortant de se rendre compte que l’on se mobilise enfin pour se battre.»

Diversion
Comment expliquer cette offensive du gouvernement contre les personnes transgenres? Le journaliste en vient à se demander si ce n’est pas une manœuvre de diversion. «Rien n’arrive par hasard, estime-t-il. Mon impression, c’est que pour le gouvernement, ce n’est pas un problème que l’on écrive sur les questions trans ou LGBTI en cette période de coronavirus. Au contraire: pendant ce temps, on ne parle pas de la situation dans les hôpitaux, des traitements et des tests. Peut-être que c’était le but… En tout cas, cela montre que le pouvoir se fiche des LGBTI, mais aussi des femmes, des Roms et en général de la vie des gens.»

«Ça me fait penser à la série La servante écarlate: tout se passe tranquillement et quand on se rend compte de quelque chose, il est déjà trop tard pour faire demi-tour.»

Les médias hongrois travaillent sous une pression croissante, entre la mainmise de l’État sur les titre de presse, les menaces contre les journalistes ou la loi sur les prétendues «fake news». Ádám relativise: «Pour être honnête, je ne peux pas dire que mon travail est plus difficile ou que je me sens en danger pour l’instant, mais qui sait ce qui va se passer dans le futur? Au fil des semaines, on va de surprise en surprise.» À ses yeux, le changement est plus sournois, il y a certains sujets «interdits» qu’il vaut mieux éviter de traiter. «Ça me fait penser à la série La servante écarlate: tout se passe tranquillement et quand on se rend compte de quelque chose, il est déjà trop tard pour faire demi-tour. On perçoit que des libertés nous sont peu à peu retirées, mais on a de la peine à le croire.»

Ukraine: réformes dans l’impasse
L’incertitude règne aussi en Ukraine, où la stratégie de droits humains mise en place dès 2014 avec la révolution pro-européenne semble dans l’impasse. Symbole de cette stagnation: la loi sur les crimes de haine racistes, xénophobes, homophobes ou transphobes reste bloquée. Pour le militant Andrii Kravchuk, du centre LGBTQ+ Nash Mir, cette situation est due à l’influence des partis nationalistes, mais aussi à la frilosité des partis libéraux et pro-européens, muets sur ce thème. «On assiste à une augmentation des agressions depuis 2014. Les nationalistes ont été légitimés aux yeux du public et il se trouve qu’ils ont une position très homophobe. Les attaques contre les événements LGBTQ+ font partie de leur agenda.» La situation est très compliquée, poursuit-il, «car parallèlement à la montée de l’homophobie, la visibilité des LGBTQ+ et le soutien à la communauté s’est accru. Les deux sont d’une certaine manière liés.»

Moscou est aussi à la manœuvre dans cette agitation homophobe. Pourquoi est-il si important pour la Russie d’empêcher l’avènement de droits LGBTQ+ en Ukraine? «L’homophobie est devenue en quelque sorte partie intégrante des valeurs russes, que Moscou tente d’instrumentaliser auprès de certaines populations, explique Andrii. C’est assez inefficace dans le contexte de guerre avec la Russie, mais ils essaient néanmoins… Et ça marche surtout avec les Églises. Ce qui les met dans une situation délicate: elles sympathisent avec ces valeurs, mais elles ne peuvent pas se mettre trop en porte-à-faux avec les autorités civiles.»

Texte tiré du podcast «Pride» (en anglais) du militant et chercheur belge Rémy Bonny remybonny.com. Adaptation: Antoine Gessling.