«The Call veut instaurer une sharia chrétienne»
Le mouvement évangélique extrémiste veut exorciser les âmes et les cités en proie au démon homosexuel. Un expert de la question explique.
Annoncé pour le 31 mai à Genève, Lou Engle, le prédicateur ouvertement homophobe et co- fondateur du mouvement extrémiste évangélique The Call, a annulé sa venue. On respire? Pas tout de suite. Stéphane Morey, auteur d’un film anthropologique sur l’église évangélique suisse ICF, aussi directeur et co-fondateur de la Fête du Slip, a travaillé longtemps sur cette frange religieuse en Suisse.
Ethnographe aux éditions 2012 et 2013 de L’AppelGenève, il dresse une analyse de ce mouvement qui veut dominer la société pour instaurer la loi de Dieu. Il nous offre son éclairage sur ce milieu d’idéaux extrémistes, tolérant en public, mais farouchement homophobe lorsque qu’on approche la partie immergée.
– The Call et les autres églises évangéliques, même combat?
– Stéphane Morey: Pas tout à fait. Oui, tous sont dans le même courant religieux, ce qui les réunit est la volonté de convertir tout le monde au christianisme, ils ont les mêmes sources théologiques. Ce qui différencie le mouvement américain The Call, cofondé par Lou Engle, est son mode d’action: ils sont ce qu’on appelle des dominionnistes, ils veulent dominer la société. Ils ont un mode d’action plus radical et politique, voire violent. Pour eux, il s’agit d’exorciser les villes, chasser les démons qui ont pris possession d’un territoire et imposer la loi de Dieu. Ils veulent instaurer une sharia chrétienne. L’Uganda est la version la plus aboutie de la nation chrétienne que les dominionistes aient réussi à accomplir.
– The Call et l’AppelGenève, homophobes ou non?
– Sans aucun doute! The Call et L’AppelGenève considèrent l’homosexualité comme un démon. Dans les conférences, ils parlent parfois ouvertement de «mise à mort» des homosexuels, comme le prescrit la loi mosaïque dans Lévitique 18, verset 22. Selon eux, l’homosexualité est un projet politique pour désintégrer l’humanité. Cette homophobie s’explique par une lecture littérale de la Bible: Dieu parle à travers les Ecrits aujourd’hui, il n’y a aucune quasiment pas de lecture contextuelle ou interprétative, comme dans d’autres courants chrétiens. Le livre saint condamne l’homosexualité, The Call le prend à la lettre et la vindicte peut commencer.
«Si nous voulons vraiment affaiblir The Call et les désarmer, il faut les isoler de la communauté évangélique.»
– Pourquoi cette litanie homophobe?
– L’homosexualité est un enjeu central pour les évangéliques, c’est une manière de marquer leur identité face à l’ouverture des protestants et de la société. Pour The Call, cette tolérance est le signe d’un affaiblissement du religieux. Et une menace: Les homos sont considérés comme nuisibles à la famille traditionnelle qui est l’unité fondamentale de leur vision de la société. The Call a d’abord lutté contre l’avortement, puis, avec l’avancée des droits LGBT, le mouvement a également entrepris de s’attaquer à l’homosexualité.
– Pourtant, ils s’en défendent, se disent même tolérants?
– Ils sont dans une schizophrénie complète, car sans s’avouer homophobes, ils revendiquent le droit à la liberté d’expression, à la liberté de pouvoir dire qu’ils sont contre l’homosexualité. Ils trouvent même injuste qu’on les traite d’homophobes. Cela fait partie de leur stratégie de communication. The Call et L’AppelGenève ont très bien saisi l’environnement dans lequel ils évoluent. L’homophobie est mal perçue dans notre société, comme le racisme. Alors ils affirment être tolérants et ouverts. Pour eux, la cible est l’homosexualité, pas les homosexuels, qu’ils acceptent soit disant volontiers. Ils «aiment» le pécheur mais pas le péché. En public, ils disent accueillir volontiers une personne homosexuelle repentante, mais en privé c’est une autre histoire.
– La communauté LGBT a-t-elle raison de se soulever contre ces mouvements?
– Sur le principe oui, c’est évident. Par contre, vouloir les faire interdire n’est pas forcément la meilleure stratégie car plus on les oppresse, plus ils se sentent légitimes dans leur lutte. Il y a un effet pervers à adopter cette stratégie d’interdiction: tous les évangéliques se sentent visés. Cela les force à se solidariser avec ces groupes extrémistes malgré des réticences initiales. Sans le vouloir, en luttant contre, on regroupe les évangéliques de tout ordre autour de The Call.
– Doit-on alors se taire?
– La communauté et les associations LGBT ont eu une démarche juste et parfaitement légitime. Mais il ne faut pas oublier que la force d’un mouvement comme The Call réside dans leur capacité à mobiliser des masses par un discours charismatique. Si nous voulons vraiment affaiblir The Call et les désarmer, il faut les isoler de la communauté évangélique. En accusant The Call d’homophobie, nous enfonçons une porte ouverte et nous obligeons la communauté évangélique à se solidariser avec eux. Si nous demandons à The Call de se positionner sur leur projet théocratique, la communauté évangélique pourra prendre position contre eux sur ce point. Pour éviter leur ancrage en Suisse, nous devons accepter temporairement l’homophobie passive de la communauté évangélique. Espérons qu’ainsi les évangéliques pourront amorcer une sorte d’auto-critique, ou du moins une auto-régulation de ses franges les plus extrêmes.
Stéphane Morey sera présent lors de la projection de «God Love Uganda» (2013), de Roger Ross Williams, ce Vendredi 30 mai à 21h00 au Cinéma Spoutnik
4 Place des Volontaires, 1204 Genève