Le combat d’une mère

En prenant sur elle de représenter les homosexuels camerounais contraints à la clandestinité, l’avocate Alice Nkom brave avec panache les lois qui oppriment gays et lesbiennes et la rumeur qui fait d’eux les boucs-émissaires d’une société en crise.
«Chacun amène sa contribution aux droits humains», invoque Alice Nkom comme une évidence lorsqu’on demande comment cette avocate, jeune et énergique grand-mère en boubou et baskets, en est arrivée à représenter les homosexuels de son pays à la conférence mondiale de l’ILGA à Genève. Un peu plus tôt, devant les délégués venus des quatre coins du monde, elle avait fait rire une assistance captivée et émue en montrant des photos où on la voit tendrement serrer contre elle ses 9 protégés. Alice Nkom est là pour ces jeunes hommes emprisonnés depuis près d’un an, soi-disant pour avoir eu des rapports homosexuels. Une accusation qui, si elle ne repose sur aucune preuve, n’en est pas moins passible de six mois à cinq années d’emprisonnement en vertu de l’article 347 bis du code pénal camerounais.
Le mot homosexualité a mis le pays en effervescence ces derniers mois. Avant même que plusieurs titres de la presse locale aient fait leurs choux gras de «listes d’homosexuels» mêlant personnalités du monde politique, artistique, économique ou sportif, les dénonciations ont commencé dans les rues des grandes villes au printemps 2005. «Au départ, raconte Alice Nkom, un chef de quartier de Yaoundé avait signalé des personnes mêlées à des problèmes d’agressions, de jeux de hasard, d’alcool et d’homosexualité… Evidemment, tout cela s’est vite réduit à une chasse à l’homosexuel.» Après que deux femmes, elles-même accusées d’être homosexuelles, ont indiqué un lieu de rencontre gay, la police y a mené un raid et arrêté 35 personnes «…Ceux qui avaient de l’argent on pu s’en tirer rapidement, constate l’avocate. Ce sont les plus modestes qui sont restés sous mandat de dépôt. Le plus jeune avait 15 ans à l’époque.»
Exode
«L’homosexualité est dépénalisée depuis longtemps en Europe, dans tous les pays où vivent tant de nos enfants. Mais lorsqu’ils retournent au pays, qu’est-ce qu’on leur fait? – On les soumet à des chantages, à des arnaques et à des moqueries. C’est comme ça qu’on favorise l’exode, la fuite des cerveaux.» Pour Alice Nkom, l’engagement pour les homosexuels n’est pas différent de celui qui la mobilise auprès des femmes et des adolescents dans les organisations de lutte contre le sida et d’éducation à la citoyenneté qu’elle anime. C’est justement au contact des jeunes et pour leur épanouissement qu’elle s’est rendu compte de l’enjeu que représente la défense des minorités sexuelles. «Je veux me battre. Si je ne partageais pas ce combat, cela voudrait dire que je ne protège pas mes enfants. Pour les sortir de là, je n’ai pas peur de prendre des coups – si quelqu’un est capable de m’en donner! A la vie, à la mort!»
Pour «ses enfants», Alice Nkom s’est retrouvée face au préfet, à qui elle a annoncé qu’elle entendait créer une association de défense de l’homosexualité, l’ADEFHO. Face à cet officiel, choqué devant «l’illégalité et l’immoralité» d’un tel projet, la militante a expliqué le plus simplement du monde: «Ce ne sont pas les homos qui mettent au monde des homos!» Reste que l’ADEFHO ne reçoit aucun soutien au Cameroun, ni officiel, ni populaire – et encore moins médiatique – sinon de la part de celles et ceux qu’elle défend – mais qui restent cachés.
Comment en est-on arrivé là? Alice Nkom évoque le marasme économique et social dans lequel le pays se débat: un taux de chômage endémique et des coupes toujours plus profondes affectant l’aide sociale. Dans ces conditions, les rumeurs habilement manipulées trouvent un terreau fertile, particulièrement lorsqu’il s’agit d’homosexuels que beaucoup imaginent comme une fraternité occulte aux commandes du pays. «L’idée qui prévaut, explique-t-elle, est que les ministres homosexuels ont pillé le pays, et que si tu veux t’en sortir, tu n’as pas d’autre choix que de passer sur le canapé. Evidemment, ce qui choque et effraie les gens, c’est que l’on met leur masculinité en danger!».
Dépénalisation
Injuste, inapplicable et menant à toutes les dérives (les prévenus sont à tout moment susceptibles de subir un examen des voies anales), l’article 347 bis doit être rapidement abrogé. Alice Nkom est persuadée que cela est possible, avec un soutien international et pour peu que le président Paul Biya, monté au créneau pour condamner la violation de la vie privée par les journaux publiant les listes d’homosexuels, se décide enfin à faire cesser la chasse aux sorcières. «La dépénalisation, explique l’avocate avec ferveur, ce serait une première étape, mais un vrai coup de massue.»
En attendant un geste de la présidence, Alice s’avoue pressée de rentrer au pays.. Elle vient d’apprendre que le directeur d’un collège où 30 jeunes filles ont été exclues pour homosexualité a annoncé qu’il allait lire le nom des élèves à la radio pour les empêcher d’être réintégrées par une autre école. «Plus d’école, plus de travail, plus rien! s’indigne-t-elle. De cette manière, ils veulent se donner raison à eux-mêmes en montrant que les homos sont moins que des chiens.» Un terrible gâchis humain face auquel Alice Nkom n’est pas prête de baisser les bras.