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Sortir du silence: le défi périlleux des homos de Tunisie

Un an après la chute de Ben Ali, les gays et lesbiennes tunisiens s'interrogent sur leur place dans la nouvelle société. La fin de l'invisibilité amène plus d'incertitudes que d'espoirs.

Avant, les gens étaient confrontés à l’homosexualité à petite dose, ça les choquait rarement, explique Stoufa, un coiffeur et styliste. Toutefois, les attitudes ont changé considérablement durant ces dernières années. «On parle plus ouvertement de l’homosexualité, on se dit tolérant. Mais en réalité, on ne l’est pas», explique ce gay de 54 ans. Son milieu social, celui du centre-ville de Tunis, est petit et tout le monde se connaît. «L’orientation sexuelle n’y était pas un secret. Cela dit, il n’y avait pas de honte associée à ce mode de vie. Les gens faisaient preuve d’un certain respect, en tout cas davantage qu’aujourd’hui», ajoute Stoufa.

Premier magazine LGBT
Néanmoins, on perçoit des signes qu’un dialogue public, jusqu’ici impossible, se met en place. Lancé en mars 2011 sur le web, Gay Day Magazine est le première publication destinée à la communauté LGBT au Moyen-Orient et dans le Maghreb. Un blog, une page Facebook et un compte Twitter on été établis afin de créer une interaction avec les homos tunisiens. Fedi, un diplômé de 23 ans au chômage est l’administrateur du site. «Nous cherchons à plaider en faveur des droits humains et contre les stéréotypes. Nous souhaitons mettre en place un espace qui facilite la communication au sein même de la communauté LGBT et fournir un environnement sain et interactif où s’attaquer aux défis que rencontrent notre communauté.» Les réseaux sociaux et les groupes de soutien en ligne représentent un refuge pour les LGBT – en particuliers les adolescents qui se posent des questions sur leur sexualité. «Les problèmes tels que l’homophobie, l’impossibilité de s’afficher comme gay et le tabou qui entoure ces problèmes ont fait d’internet le premier canal où les gays tunisiens peuvent s’exprimer», ajoute Fedi.

Equilibre entre lois et valeurs
Le jeune homme ne se fait guère d’illusions sur le fait qu’il reste de nombreux problèmes. Entre autres, le fait que l’homosexualité est souvent, et de manière injustifiable, associée à la pédophilie, à l’addiction au sexe ou au péché. Mais la discrimination contre les gays ne s’arrête pas à des préjugés – elle est également inscrite dans la loi. Abd Essatar Zaafrani, un avocat, note qu’il n’y a pas, dans la Constitution, d’article interdisant de fait l’homosexualité. Cependant, il existe des articles du Code pénal liés à la moralité. L’article 230 punit les rapports homosexuels entre hommes comme entre femmes d’une peine maximale de 3 ans de prison. Toutefois, ces dispositions n’ont jamais été appliquées. «Les perceptions des droits humains dépendent de la culture et des traditions de chaque société. Il y a toujours eu des réserves concernant cette question dans les pays musulmans et arabes. [La protection des] droits des minorités relève d’un équilibre entre la loi et les valeurs. C’est un débat sans fin», estime le juriste.

Dans la Tunisie post-révolutionaire, les jeunes homos tunisiens regardent avec perplexité les changements sociaux ayant accompagné la chute de l’ancien régime, et comment elles pourraient modifier leur situation dans le futur. Aymen, un web designer de 30 ans, et Sabri, un étudiant de 23 ans, ne sont pas ouvertement gays. Ils racontent qu’ils sont, malgré cela, victimes de stéréotypes, de jugements et de mauvais traitements. Ils réclament davantage de reconnaissance. «Les droits des gays devraient être une préoccupation du gouvernement. Dans une société qui exprime la discrimination et la haine envers nous, ce n’est pas de respect dont nous avons besoin, mais d’une protection au niveau des lois», déclare Aymen.

D’autres priorités
Sarah, une étudiante de 21 ans, a choisi, elle aussi, de rester discrète quant à son homosexualité. Elle est déterminée à quitter le pays et à s’installer là où la pression à l’encontre des homosexuels serait moins intense. «Il y a trop de problèmes auxquels on se confronte ici, notamment le fossé des générations entre parents et enfants, et même l’hypocrisie parmi les homosexuels eux-mêmes.» En dépit de ce constat sur le caractère intolérant de la société tunisienne, elle estime que ce n’est pas le moment d’insister pour une changement de mentalité. La Tunisie a selon elle d’autres priorités sociales. Il est normal qu’elles prennent le pas, pour l’instant, sur les droits des gays. «Un tel changement ne serait susceptible que rendre encore plus instable la situation que nous vivons, et de provoquer davantage de violence et d’insécurité.»

Jaber Belkhiria a collaboré à cet article. Traduction de l’anglais: Antoine Gessling pour «360°».