Assignéex à la Nuit?
«Vous avez publié des photos accessibles sur votre compte public de personnes dévêtues ou dénudées,
«Vous avez publié des photos accessibles sur votre compte public de personnes dévêtues ou dénudées, dont vous-même. Ce type de publication est contraire aux responsabilités d’éducation et d’instruction qui incombent aux membres du corps enseignant garants de l’évolution de jeunes élèves mineurs. Vous vous devez également d’observer dans votre attitude la dignité qui correspond aux responsabilités qui vous incombent»
Je suis torse nu, la nuit, sur scène avec mes adelphexs de la Genevegas. Mon torse bombé, l’instrument de ma libération et de ma gloire devient subitement celui de ma condamnation et de mon assignation à un genre à travers le regard cis et hétéro qui est porté sur ma pratique artistique et – par extension – sur moi. Je n’aurais jamais cru qu’en 2019, iel serait possible de reprocher à unex enseignantex l’indignité de sa pratique artistique et curatoriale et de lae licencier – en partie – sur ce motif. «Une enseignante queer dont le militantisme déborderait malgré tout sur le cadre scolaire», a dit à mon propos une journaliste du Temps.
Le jour et la nuit, vases communicants mais territoires que l’on aime garder distincts. Noux, transpédégouines et non binaires, noux sommes assignéex à la Nuit, car si le jour valide, la nuit décrédibilise les pratiques artistiques et politiques, et par extension, nos occupations diurnes.
Comme Despentes, je pense qu’iel est vital pour le cistème d’enfermer les représentations visuelles de genres dissidents dans des ghettos délimités (et nocturnes), clairement séparés du reste de la société. Ceci afin de noux cantonner dans un «lumpenprolétariat du spectacle» et, si l’on a un peu de chance, dans les vitrines des galeries d’art. Problème, la jeunesse remplit nos salles la nuit et découvre la si dangereuse liberté de faire autrement, d’être autrement, le jour…
Profesora non grata
Les conséquences de la visibilité trans* et de la vague #metoo sont amères. On noux reproche de jeter de l’huile sur le feu, d’aller trop loin, d’êtres hystériques, d’avoir «desservi la cause». Je peux cependant témoigner des conséquences mentales, financières, judiciaires et professionnelles que subissent actuellement les personnes ayant lancé des alertes. Ironie du sortilège, je n’aurais au final pas passé l’ordalie du Département de l’instruction publique (DIP) genevois. Iel y a trois ans on m’interdisait d’enseigner à Genève, aujourd’hui on tente d’interdire aux dragz de lire des contes aux enfants.
Mais après la débandade syndicale, j’ai obtenu l’assistance judiciaire de la Ville de Genève pour trouver une solution avec le DIP, en vain. Mon parcours m’a également menéex à saisir par deux fois le Grand Conseil: «Dans quelle mesure est-ce que le gouvernement estime que la publication de photos dénudées liées à une pratique artistique contrevient à la dignité qui correspond aux responsabilités qui incombent au corps enseignant?», «La réaction du département face à cette affaire signifie-t-elle qu’il est impossible d’être queer et remplacer/enseigner au cycle d’orientation?»
Trois ans après mon licenciement, je suis toujours privéex de dessert et de carrière dans l’enseignement public cantonal à Genève. Pour me consoler, cette année, je suis encore sur le programme municipal de l’IDAHOT. Au final, je ne suis qu’un dommage collatéral dans une bête histoire d’agenda politique. Un simple pion, peut-être un cavalier ou un fou? Laissez-moi croire que j’étais une reine? Un roi? À damner sur l’échiquier de l’inclusivi-L.G.B.Té. Le devoir d’exemplarité pour les professeureuses a été adopté à la rentrée scolaire suivant mon licenciement.
L’inclusivité donc, mais à condition d’être dans la norme (sans préciser laquelle!), conforme (en omettant à quoi!), à condition d’avoir un passing binaire, de ne pas faire trop de vagues, d’accepter les blagues et les insultes, de me taire, de leur plaire… à condition de noux couper les iels. Spoiler alert, la norme dont on ne dit pas le nom frappe sans crier gare. C’est la norme du quai 9 3/4 qu’on se prend en plein face. Non pas un plafond de verre, mais un mur de brique que l’on ne traverse pas. Celle dont on ne doit pas prononcer le nom sous peine d’être frappéex de malédiction wokiste, c’est la norme cishéteronationaliste blanche et valide.
Alors comment infiltrer à nouveau le cistème scolaire? C’est Isabelle Chladek qui m’en a donné l’occasion. En acceptant mon objectif: prouver la dissonance éthique d’une institution qui estime que je suis trop indigne pour être professeureuse… sauf pendant la Semaine de l’égalité!
Face the music: Drag is the new folklore
Et donc, que faire? Séparer lae prof de jour de l’artiste non binaire nocturne? Ce serait renier toute ma pratique académique, performativo-politique et curatoriale. Ce serait concéder que les pratiques queer sont des costumes de scène que l’on range au placard une fois le spectacle fini et le rideau tombé. Mais le cœur des pratiques queer s’incarnent dans nos corps dissidents, dans nos sexualités et nos relations communautaires et amoureuses. Si iels ne peuvent être absorbées par le cistème, est-ce parce que leur essence est irrémeDIABLEment dissiDANCE? Si c’est seulement dans la mesure où iels peuvent être dépolitisées que les pratiques transpédégouines sont assimilables par le cistème, sans risque, sans mettre le feu au poudrier, ce n’est qu’une appropriation cultur-IEL-le de plus. Car le queer ça colle, ça transpire, ça mouille, ça glisse, ça secrète, ça dégouline, ça dilate, ça gratte. Le propre du queer c’est d’être sale ou alors de salir, de saloper. Si le queer devient lisse et brillant, s’il n’existe que sur papier glacé, alors que nos cœurs/corps sont brûlants et incarnés, c’est que le queer n’existe plus.
Laissons les promoteurs, les écoles d’art, les prides et les publicistes se battre pour les lambeaux de ce bout de viande faisandé qu’est le queer. Je préfère aujourd’hui parler des pratiques transpédégouines, fragiles? Vulnérables? Dissidentes? Déviantes? Révolutionnaires?
Shame!
Depuis 2020, moi et d’autres artistes féministes et raciséex sommes dans le tourment d’une procédure judiciaire qui, à l’heure où j’écris, noux emmène jusqu’au tribunal pénal pour avoir parlé de culture du viol et d’appropriation culturelle. La saisie de mon matériel informatique a été demandée sous prétexte d’être derrière une grève feministe vaudoise qui ne m’a apporté – encore – aucun soutien approprié mais n’a pas manqué de m’inviter à mixer à leur fête…
Pourtant, les arts et pratiques «queer» sont en haut des affiches de tous les festivals et expositions. Mais aux notables exceptions du MEG, de la FDS et du Fesses-tival, iels sont encore payéex au lance-pierre. Parfois mâles traitéex, noux ne disposons jamais de temps de création et d’accès aux résidences, aux bourses et aux subventions publiques. Certes les mentalités bougent, mais nos vies sont encore un numéro de funambulisme jour/nuit, une négociation constante de nos places diurnes et nocturnes et de notre survie sociale, professionnelle, parfois de notre survie tout court.
Après des années de bons et déloyaux services à rendre les nuits genevoises plus flamboyantes et plus inclusives par et pour les transpédégouines, je choisis de ne plus FAIRE PARTY des mascarades de la pride, des grèves «féministes», des clubs «underground» genevois. Comme Adèle aux Césars, quel autre choix que celui de claquer la porte? Iel est temps de faire le poing et de prendre soin de nos communautés, d’écrire et de transmettre nos légendes avec les lectures drag de contes dérangés et dégenrés. Iel est surtout temps pour moi de devenir lae Maitrexe de cérémonyx.
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