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La conjuration des salopes

Le dernier roman du critique rock et observateur des marges du rêve américain Dennis Cooper signe l’apothéose d’une œuvre de rigueur stylistique. Cinglant et captivant.

«Tout ça, c’est juste du porno bien glauque et on est tous complices.» Salopes (Sluts pour la version originale) marque l’aboutissement stylistique de l’auteur américain Dennis Cooper. Comme Bret Easton Ellis, qui après une série de livres-concepts aussi efficaces que glaçants, atteint à la perfection de son œuvre avec l’hyperstructuré Glamorama, qu’il transcende ensuite avec Lunar Park, Salopes consacre le cheminement littéraire et sociologique de Dennis Cooper, qu’on aime à cataloguer comme un écrivain sulfureux parce que ses sujets et héros sont des ados paumés, errants dans les marges du rêve américain entre partouzes tristes et pipes de crack. Après son cycle de déconstruction stylistique, Dennis Cooper aboutit avec Salopes.

D’abord, Cooper impose une rigidité formelle à ce polar de mœurs: Salopes est une succession de fiches Internet décrivant le profil et la valeur de prostitués établies par leurs clients sur un site d’échange de renseignements destinés à aider les michetons à s’y retrouver dans la jungle des putes à pseudos pour maximaliser leur plaisir en tirant leur coup. Une sorte de restorang.ch de la prostitution sur la côte ouest américaine. Chaque fiche reprend les passages obligés des statistiques, services alloués, tarifs et descriptif des actes correspondant à la pute (toujours un jeune mec). Un inventaire de cul, froid, clinique, pratique.

Polar hallucinant
Peu à peu, derrière cette façade stylistique rigide – peine à jouir serait-on tenté de penser – se réveille un polar hallucinant. Le site d’échange devient le théâtre d’une fascination collective des utilisateurs pour un certain Brad, jeune, beau, totalement passif, qui se laisse maltraiter jusqu’au bout des fantasmes les plus violents. A mesure que la déchéance de Brad est décrite au fil des fiches, le site explose dans un délire fantasmatique. Impossible de savoir si l’on navigue en plein délire hallucinatoire collectif, ou si au contraire on assiste au passage fugace d’une vie, condamnée à être salie par la perversion de ceux qui se la sont appropriée…
La Toile, univers fabuleux et pourtant éminemment terre-à-terre, miroir d’un ici et maintenant que chacun est autorisé à s’inventer, au risque de rencontrer la réalité la plus noire. Dennis Cooper manipule la forme la plus contemporaine de la manipulation pour tendre un miroir multiple, réfléchissant à l’infini les abysses de l’âme asservie par ses pulsions les plus viles.
Tandis que le roman français reste depuis bientôt 50 ans embourbé dans des considérations auto-référentielles, masturbatoires, stériles, incapable qu’il est de s’émanciper du débat jamais abouti autour du Nouveau Roman, les auteurs américains, libres des querelles d’écoles et d’histoire, continuent sans cesse de créer et de réinventer la structure romanesque. Héritiers sans responsabilité ni culpabilité de la Beat Generation, entertainers décomplexés (mieux: patentés, dans tous les sens des jeux de mots possibles), les auteurs contemporains américains, Docteurs Frankenstein acharnés, interrogent le roman et parviennent à le tordre, à le maltraiter au point de donner la vie à un interlocuteur puissant, pertinent et redoutablement exigeant. Une ambition littéraire et sociale dont Dennis Cooper est désormais l’un des meilleurs porte-drapeaux.

Salopes, de Dennis Cooper,
Editions P.O.L.