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Jean-Luc Verna, étoile noire

Jean-Luc Verna, étoile noire
Jean-Luc Verna

Plus proche d’une divinité cosmique que d’un Terrien, Jean-Luc Verna explose de grâce et de puissance à travers une oeuvre où s’entrelacent délicatesse et sombres démons.

Artiste magistral, Jean-Luc Verna porte gravées en lui toutes les souffrances du monde qu’il a transcendées à travers un travail de chaque instant. Il tutoie les Anges et bouscule le Diable avec une légitimité peu commune qui lui revient de droit. Habité par une vie parsemée de chaos et de rudesse, il a traversé chaque épreuve haut la main, offrant simultanément une œuvre exceptionnelle liée à son singulier destin. Façonné à la dure par une mère indigne et réactionnaire, il atterrit rapidement sur les trottoirs niçois et se prostitue de 15 à 21 ans avant d’intégrer l’école d’art de la Villa d’Arson. Un virage salutaire, comme il l’a décrit récemment dans «Libération»: «C’était ça ou devenir terroriste, ou acteur porno. J’étais dépositaire de la misère du monde. En étant artiste, je tente à présent de l’expliquer.»

Entre-temps la séropositivité et autrefois la toxicomanie lui ont rendu la mort vraiment très familière. Un sujet qu’il transpose plastiquement comme peu d’autres artistes de sa génération. Ce lourd bagage émotionnel directement issu du caniveau évoque cependant la splendeur de la voûte céleste dans sa facture picturale. Tel est le don alchimique de cet artiste élégamment cabossé: pétri de chagrin, il flirte néanmoins paradoxalement avec le lumineux et le divin qu’il dessine derechef avec ses propres mains. Ayant été privé de cieux étoilés dans sa dure réalité, il les créera donc lui-même avec une virtuosité toute personnelle.

X-Men
Le dessin, ce «lieu de l’intimité» qu’il cultive et enseigne depuis vingt-cinq ans, Jean-Luc Verna l’a appris en autodidacte, recopiant les albums de X-Men et les manuels d’anatomie artistique. Dans ses dessins fantomatiques, on lit l’influence des artistes désespérés du romantisme noir et du symbolisme finde-siècle – Auguste Préault, Alfred Kubin, Félicien Rops, mais aussi la douceur du sfumato de Léonard de Vinci. On loue la qualité de son trait, il rétorque: «La virtuosité du poignet, je m’en moque. L’art n’est pas une compétition sportive, c’est une course qui a été gagnée haut la main depuis longtemps par les grands maîtres». Et la beauté des corps? «Cela m’intéresse encore moins, la perfection anatomique, c’est de l’art gay intracommunautaire.»

«La virtuosité du poignet, je m’en moque.» Jean-Luc Verna

Au fil du temps, son corps est lui aussi devenu son canevas, un corps qu’il modifie à volonté, qu’il sculpte en le musclant ou en le recouvrant d’encre au gré des rencontres, amours et déceptions. Un livre ouvert qui sinue sur tout son corps, visage inclus, lui conférant une beauté du troisième type proche de celle d’un guerrier intersidéral. Piercings et mâchoire métallique lancent quant à eux des éclats d’argent – les dents, il les a perdues dans la rue, au combat- et ses pupilles de chat se parent souvent elles aussi de lentilles multicolores, l’éloignant ainsi encore un peu plus du genre humain. Emblème favori entre tous, une multitude d’étoiles ornent l’intégralité de son corps, telle une cartographie de cette autre galaxie de laquelle il semble provenir.

Idoles rock
Une série de photographies parmi les plus célèbres de l’artiste le montre dans le plus simple appareil, figé dans des poses reprenant avec précision le répertoire gestuel de l’histoire de l’art (Rodin, Delacroix, David d’Angers), gestes retrouvés aussi notamment dans les attitudes scéniques de ses idoles rock (Siouxsie Sioux, Nina Hagen, Blondie) – une série qu’il reprendra en live avec deux danseurs et la voix de Béatrice Dalle pour son spectacle «Uccello, Uccellacci and The Birds» revisitant Pasolini en version dansée et exaltée. Son corps demeure son outil primordial et, de mémoire, il a aussi été l’un des premiers Européens à exhiber des tatouages faciaux de type artistique dans les années 1990.

Artiste contemporain majeur, il vient d’être récemment salué par une rétrospective au MAC/Val de Vitry-sur-Seine, mais il ne faut pas oublier que Jean-Luc Verna est aussi avant tout un homme de spectacle. Chanteur dans le groupe de cabaret new wave I Apologize; interprète pour Gisèle Vienne et Jonathan Capdevielle au théâtre ou pour Brice Dellsperger au cinéma; performeur (bientôt chez Madame Arthur); chorégraphe/metteur en scène au festival Etrange Cargo à la Ménagerie de Verre de Paris: son charisme exceptionnel brûle littéralement toutes les planches qu’il effleure. Taillé pour la scène, qu’il arpente de sa silhouette aussi colossale que féline, on n’a d’yeux que pour lui!

Spectacle total
Invitant le show au Musée, la diversité de son spectre s’est ainsi déployée dans un même lieu, fusionnant cette exposition rétrospective du Mac/Val en un spectacle total. Au centre de l’exposition trônait d’ailleurs tout naturellement une scène parée d’un rideau en strass siglé – sur lequel on reconnaît la montagne Paramour, son autre emblème fétiche – où eurent lieu concerts, performances et répétitions en public. A proximité, une coiffeuse en forme de pierre tombale portait les divers pinceaux et khôls que Jean-Luc Verna utilise aussi bien pour rehausser ses yeux que ses dessins. Plus loin, des cockrings en verre, des baguettes magiques en berne, des costumes de scène, un moulage réaliste de son sexe dans toute sa fragile banalité.

Jean-Luc Verna, Paramour, 2011 transfert sur bois vernissé, guirlandes lumineuses, 80 ampoules de couleur ø 265 cm ©photo Marc Domage courtesy Air de Paris, Paris.
Jean-Luc Verna, Paramour, 2011 transfert sur bois vernissé, guirlandes lumineuses, 80 ampoules de couleur ø 265 cm ©photo Marc Domage courtesy Air de Paris, Paris.

Les objets familiers de l’artiste furent ainsi déposés, à la façon des armes d’un guerrier vaincu. Une rétrospective aux allures d’hommage posthume, où dialoguent dessins ruinés et objets témoins de ses vies multiples. Vingt-cinq années de carrière et toujours ce NON catégorique qui résonne haut et fort. Celui des insoumis et des écorchés vifs à qui on ne cherche pas des noises. La bande-son de l’exposition fonctionnait précisément en ce sens, semée de cris de corbeaux et de salves de rires, tandis que résonnait le «Non!» ferme et sans détour de la voix de l’artiste, emplissant l’espace de toute sa sincère insoumission.

Un corps paré mais vieillissant
Le titre de l’exposition: «Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé? – Non.» est quant à lui un énorme clin d’œil à la remarque mille fois entendue ainsi qu’à cet «outil de l’affranchissement» qui a permis à Jean-Luc Verna de tracer en négatif sa ligne de conduite. A rebours, dit-il, d’une fierté gay qu’il ne revendique pas, Verna exhibe un corps paré mais vieillissant, avec une immense autodérision teintée d’humour noir. Une fois par mois, la performance Embrassement invitait gentiment le visiteur à pénétrer dans une backroom sombre et pailletée où attendait l’artiste, nu, pour un hug «tout sauf érotique» qui rappelait poétiquement ces années où son corps était le réceptacle d’émotions étrangères. Difficile de faire mieux dans le domaine de la rédemption publique. Jean-Luc Verna a sans conteste toujours eu le don de transformer le moindre détail le plus glauque en quelque chose de mille fois plus sublime et féerique car il possède une baguette magique qu’il s’est fabriquée lui-même, mais aussi qu’il n’attend rien de personne. Et l’on s’incline sans même sans rendre compte devant cet artiste d’une trempe hors-pair, un vrai de vrai, comme on n’en fait plus.

» airdeparis.com

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