Pat Califia, gouine et mec à la fois
Pat Califia est connu outre-Atlantique comme l’un des auteurs d’essais les plus prolifiques en matière de politique des minorités sexuelles. Trans FTM (female to male), bisexuel, adepte des châtiments corporels et du Fist Fucking, ce militant de longue date réside à San Francisco où il exerce comme thérapeute de famille. Récemment en visite à Genève à l’occasion de la première parution de l’un de ses livres en français, il s’est confié à notre rédaction.
Il y a quelques années vous avez décidé de changer de sexe. Considérez-vous que vous êtes en train de «devenir un homme»? Ou votre démarche consiste-t-elle plutôt à incarner une sorte de genre hybride?
Mon objectif est avant tout de me sentir plus à l’aise avec mon enveloppe physique. Je suis conscient que de l’extérieur ma démarche laisse à penser que je «deviens un homme». Il est vrai que lorsque j’étais enfant, je disais à tout le monde autour de moi que je deviendrai un garçon en grandissant. Pour moi, la puberté a été un événement extrêmement traumatisant. J’ai commencé à avoir mes règles à l’âge de 13 ans, et mes seins sont devenus énormes. Tout d’un coup, mon entourage a commencé à percevoir mon corps comme celui d’un être sexué, une fille, ce à quoi je ne pouvais pas m’identifier. J’ai grandi dans une famille mormone très conservatrice et ma différence était extrêmement embarrassante aux yeux de mes parents. Je suis rapidement devenu la cible de nombreuses formes d’abus, à la fois physiques et verbaux. Ces abus avaient pour objectif de m’obliger à me conformer à mon genre d’assignation ou tout au moins à me faire taire sur le fait que je détestais les attributs de la féminité et les attitudes que l’on croit devoir aller avec.
Ma rencontre avec le féminisme et la communauté gouine à l’âge de 17 ans m’a permis d’exprimer plus librement mon identité de genre. A l’époque, je pensais que je résoudrais mon inconfort physique en devenant une autre sorte de femme, en élargissant les limites de mon genre, et en remettant en question mon sexisme, ma misogynie et celle de ceux qui m’entourent. A l’âge de 46 ans, je me suis dit que j’avais poursuivi cette stratégie aussi loin que je pouvais, et malgré cela je restais profondément insatisfait avec mon corps. Je ne dirais pas que je me sens comme un homme «emprisonné» dans un corps de femme car ce n’est pas la vérité. Je me définis plutôt comme une personne transgenre bisexuelle qui vit socialement comme un homme. Je pense que je garderai toujours une certaine ambiguïté dans mon expression de genre. Si je passe facilement pour un homme, c’est parce que lorsqu’ils entendent le terme «transsexuel», la plupart de gens pensent uniquement en terme de MTF (Male to Female). Personne ne regarde un petit homme barbu en se demandant s’il n’est pas un FTM (Female to Male), à moins peut être que vous n’habitiez à San Francisco.
Qu’est ce qui a enclenché ce processus? Pouvez-vous identifier une période de votre vie ou un événement qui a suscité en vous le désir de changer de sexe et pas seulement de genre?
Très jeune, je me suis senti très inconfortable avec le regard de mon entourage qui s’attendait à ce que je devienne une femme. Pendant longtemps, je pensais que la cause de ma détresse était extérieure, et que j’étais victime des stéréotypes sexistes d’une société malade qui plaçait des attentes irréalistes et coercitives à l’égard du comportement des filles. Mais lorsque je considère les choses avec recul, j’avoue qu’il persiste en moi un sentiment d’insatisfaction qui, je crois, est à mettre sur le compte d’une dysphorie de genre. J’ignore pourquoi je me sens comme cela. Je ne sais pas si la cause en est génétique, hormonale ou psychogène. Tout ce que je sais avec certitude, c’est qu’à cette étape de ma vie, il est devenu important que je reprenne contact avec ces sentiments douloureux de mon enfance et que je cherche à les résoudre. Deux évènements ont ravivé l’idée de changer de sexe dans mon esprit d’adulte. Premièrement, j’ai vécu la ménopause à l’âge précoce de 45 ans. J’en ressentais les symptômes de manière accentuée, et mon médecin m’a alors demandé sur un ton insouciant si j’étais prête à commencer une thérapie de substitution d’œstrogènes. J’ai craqué et je me suis effondré dans son bureau. J’ai haï les effets que ces hormones femelles avaient sur mon corps depuis la puberté, et il était hors de question de commencer à les prendre volontairement. Cependant, il fallait que je fasse quelque chose, car vivre avec les symptômes de la ménopause n’était pas une option pour moi. Je me sens bien plus à l’aise sous testostérone, je me sens plus calme et plus raisonnable. Les hommes sont supposés être plus agressifs, mais je deviens au contraire plus doux et aimant, je crois que c’est parce que je me sens heureux. Ce nouvel équilibre chimique me convient bien.
Un autre changement décisif qui a précipité ma décision a été le décès de ma mère en 1998. En thérapie, j’ai pu me rendre compte à quel point toute la haine que ma mère avait ressentie envers mon homosexualité avait eu un impact sur ma vie d’adulte. Je n’ose même pas imaginer ce que cela aurait été si elle avait dû faire face à l’aspect trans de ma personnalité. Maintenir le moindre contact avec une famille de bigots religieux a été l’un des plus grands défis de ma vie. Je trouve qu’il est vraiment triste qu’il ait fallu attendre que ma mère meure pour m’émanciper dans cet aspect de mon existence, mais c’est bien le cas.
J’ai également ressenti le besoin de modifier mon corps parce que je n’avais pas du tout une apparence androgyne. Je suis petit, j’avais des gros seins, une petite taille et un grand cul. Et j’avais une apparence très féminine. Pour moi, il a toujours été important d’avoir une «persona» masculine que je pouvais incarner dans ma vie sexuelle privée. Cela m’a aidé à tenir le coup pendant longtemps. Aujourd’hui cette «persona» masculine veut également avoir une vie publique. Je veux le corps que j’aurais dû avoir.
Pensez-vous qu’il y ait une quelconque relation entre le fait d’être lesbienne et la condition transgenre?
Oui, nous sommes deux minorités sexuelles qui sont perçues comme des abominations aux yeux de la droite religieuse conservatrice. Je pense que beaucoup de gouines sont en fait transgenres. Il y a un recouvrement considérable entre l’expérience des lesbiennes butch et l’identité FTM.
En quoi votre coming out de trans a-t-il été différent de celui de lesbienne?
Eh bien, faire un coming out est toujours risqué, n’est-ce pas? Mais en faisant mon coming out de trans, je fais face au risque de perdre le soutien de la communauté lesbienne. Cela me fait peur! Bien que j’aie souvent été en opposition avec certains aspects de la politique gouine, la communauté lesbienne a été ma famille spirituelle et artistique depuis 25 ans. Je regretterais beaucoup que mes fans lesbiennes, qui m’ont soutenu pendant toutes ces années, se sentent trahies par ma démarche. J’espère seulement que certains de mes lecteurs comprendront que c’est quelque chose que j’ai sincèrement besoin de faire pour me sentir heureux dans la vie, et qu’il n’est pas dans mon intention de rejeter l’identité lesbienne ou la valeur associée au fait d’être une femme. Je pense que les gouines sont cool et je resterai toujours féministe. Mais je ne pouvais pas rester dans mon état tout en restant sain d’esprit.
Depuis quelques années, vous êtes également thérapeute de famille. Est-ce que votre pratique s’est modifiée en même temps que votre sexe?
Pas encore. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir le soutien de mon superviseur et de mes clients durant ma transition. A moyen terme, je sais que cela affectera ma pratique, car notre culture nous enseigne à avoir des attentes très différentes des hommes et des femmes lorsqu’il s’agit d’activités de soins. Les activités de soins sont traditionnellement considérées comme le domaine privilégié des femmes. J’aimerais m’attaquer au stéréotype que les hommes seraient moins doués que les femmes pour exercer dans des activités de soins ou pour aider des individus dans leur processus de croissance. J’ai remarqué que les gens qui choisissaient de venir me voir en thérapie le faisaient souvent par peur d’être rejeté ou jugé par les psys en raison de leurs pratiques sexuelles. Ce qui les amène en traitement n’a cependant souvent rien à voir avec leur sexualité. Nous avons réellement besoin de plus de professionnels en santé mentale qui ne pathologisent pas les travailleurs du sexe, les SM, les trans, les bis, les homos et tous ceux qui choisissent de vivre des relations ouvertes.
Pat Califia, «Le Mouvement transgenre: Changer de sexe», éd. EPEL, 2003