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Butchs-fems, un combat de genre

A l’occasion de la sortie simultanée de trois ouvrages – Queer zone, essai de Marie-Hélène Bourcier, Attitudes, collectif dirigé par Christine Lemoine et Ingrid Renard, et enfin la traduction du roman Butch/Femme, mode d’emploi de Leslea Newman –, 360° revient sur la partie sombre d’une subculture lesbienne: les butchs/fems.

Par le passé, le couple butch-fem était appréhendé comme un passage marqué dans le temps, voué à la disparition. Soupçonnées par les féministes de reproduire le modèle hétéro, les butchs-fems auraient été fatalement annihilées par la libération de la femme. Aujourd’hui, les butchs et les fems existent toujours et certaines voix s’élèvent pour bousculer la position simpliste des féministes et souligner ce mécanisme identitaire aux fonctionnements sexuels et socioculturels propres aux deux genres.

Le couple infernal
La butch: cheveux ras, piercings, tank-top (marcel), 501 ou treillis militaire détourné, Docs ou Caterpillars. La fem: cheveux longs, bijoux, maquillage, robe ou jupe, talons hauts.

A peu de choses près et en schématisant à l’extrême, voici le portrait robot des protagonistes. Elles traversent les décennies en conservant le dress-code masculin pour les butchs, féminin pour les fems. Impossible de ne pas les reconnaître. La butch est attirée par la fem et inversement. La première est sensible à l’extrême féminité de la seconde qui, elle, s’avoue charmée par le mélange de force et de douceur que dégage la première. Rares sont les butchs qui fricotent ensemble, elles entretiennent plutôt des liens d’amitié, de complicité ou bien de compétition. Il en va de même pour les fems entre elles. La butch et la fem forment un couple lesbien organisé selon des codes très précis à tel point qu’une véritable culture en a émergé.

Interrogée sur la définition qu’elle donnerait de l’une et l’autre, l’auteure américaine Leslea Newman parle de «velours recouvert de fer» pour la butch et de «fer recouvert de velours» pour la fem. Et pour ceux qui n’ont pas de dico sous la main, butch signifie «mec» en anglais (littéralement «costaud»), fem (ou femme chez les anglo-saxons), on vous laisse deviner. Quant à l’étymologie précise, les sociologues réputées d’Europe et d’Amérique observent un silence navré et reconnaissent le flou qui entoure ces terminologies.

Marie-Hélène Bourcier avoue que «l’historiographie en ce domaine reste très peu développée». On imagine bien qu’il existait des appellations spécifiques pour désigner ces femmes très masculines du début du siècle: de la garçonne de l’Entre-deux-guerres, la jules des années 70, à la camionneuse de nos jours, le lien sera toujours le référant masculin. Pourtant on ne retiendra de ces couples hétéro-genrés que la partie visible et acceptable par la bonne société c’est-à-dire la femme féminine: «Colette sans Missy», pour reprendre l’exemple de Marie-Hélène Bourcier. Aujourd’hui, le lesbian chic fait recette. Et si on recherche avec intérêt les butchs dandies sur les réseaux ou dans les PA de Lesbia, les catcheuses, camionneuses, armoires et filles trop masculines sont priées de s’abstenir.

On s’aperçoit que le genre est indissociable de la classe sociale: mieux on soigne son look, plus on est prisée (en filigrane, plus on a d’argent). Force est de constater d’ailleurs que certains historiens font l’impasse sur la culture ouvrière lesbienne butch/fem. Pour quel motif? A-t-elle été étiquetée honteuse, subversive, prolo et pas intello? Dans son étude, Marie-Hélène Bourcier déplore «l’absence de recherche auprès d’acteurs encore vivants des différentes époques» et conteste la méthodologie d’une Florence Tamagne qui privilégie les archives écrites, apanage d’une mémoire bourgeoise. Le collectif «Attirances» comble un vide en donnant la parole à des butchs et des fems de tous horizons, tant anonymes que connues.

L’habit (ne) fait (pas) la nonne
Si l’on situe l’origine de la culture butch/fem dans l’Amérique des années 50 en milieu ouvrier, sa problématique n’est pas américaine. Partout dans le monde et probablement de tout temps ont existé ces femmes à forte identification masculine. D’emblée, côté butch, le cross-dressing (appropriation de la masculinité par le vêtement) s’impose comme une étape dans la conquête d’un rôle social. Le pouvoir est masculin, endosser les habits de l’homme revient à prendre une partie de ce pouvoir. Et «les forts codes de visibilité butch/fem leur permettaient de s’affirmer lesbiennes», explique Marie-Hélène Bourcier qui poursuit en disant que «dans les années 30, les lesbiennes de bar s’affichaient et cela correspondait déjà à une forme de visibilité passive».

A cette époque, il était plus utile de s’identifier masculine d’un point de vue politique et stratégique. La double visibilité de la butch comme lesbienne identifiable par les autres et comme femme refusant les attributs de son sexe avec l’intention de s’approprier ceux de son opposé contraste avec la neutralité de la fem féminine. Cette visibilité jouera à double tranchant pour les butchs comme pour les fems.

Dans les années 80 ont émergé en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Australie des cohortes de butchs au crâne rasé exerçant tour à tour une fascination et une répulsion auprès des lesbiennes. Sally R. Munt écrit dans «Attirances»: «La butch est une figure très romanesque pour les lesbiennes; elle porte la honte et l’ostracisme social qu’elle transforme en fierté héroïque.»

Parallèlement, l’opinion admise leur reproche la mauvaise image des lesbiennes qu’elles véhiculent au-dehors. D’ailleurs cette société hétéro-normative les tolère à peine et la violence, les agressions quotidiennes deviennent leur lot. Les butchs concentrent sur elles la lesbophobie. Nombreuses sont celles qui ont été violées. Le viol puis l’assassinat de Teena Brandon en 1993 ne constitue malheureusement pas un cas isolé. Dans les années 40-50, aux Etats-Unis, la police s’acharnait de manière délibérée sur les butchs épargnant les fems qui coïncidaient avec leur représentation de la femme hétéro. Il est également révélateur que dans les pays latins les butchs demeurent invisibles par peur des représailles qu’engendre l’intolérance machiste.

A la phobie des butchs correspond la phobie des trop féminines. C’est ainsi qu’en Europe, au Canada et aux Etats-Unis, des lesbiennes à forte identification féminine se sont vues refuser l’entrée de boîtes de filles (le Pulp notamment) parce qu’elles échappaient aux stéréotypes de la lesbienne. Elles ont réagi en justifiant leur féminité homosexuelle.

Dans un des textes d’«Attirances», Joan Nestle, fem revendiquée, explique comment les autres lesbiennes «nous taxent de traîtres parce que nous avons l’air de porter les vêtements de l’ennemi. J’ai peur du jugement de ma propre communauté.» Cependant dans les années 50, son allure fem lui a permis «d’aller en territoire ennemi pour survivre économiquement». Dans l’Amérique maccarthyste, le gouvernement martelait la normalité, le mariage et la maternité. Les femmes célibataires qui travaillaient étaient mal vues. Si les butchs étaient employées dans les usines, les fems étaient prostituées ou alors occupaient des emplois de bureau mal payés. Joan Nestle conclut: «Et quand des butchs et des fems sortaient ensemble, personne ne pouvait accuser une fem de passer pour hétéro.»

Pour Christine Lemoine, «se définir comme fem n’est pas se soumettre au conditionnement imposé aux femmes. Il s’agit avant tout d’une dynamique érotique propre aux lesbiennes. Les fems comme toutes les autres lesbiennes ne sont pas disponibles au sexe mâle».

La sociologue Marie-Hélène Bourcier rappelle «la mise au pas des butchs» dans les années 70 et 80 par les féministes y compris les féministes lesbiennes (précisons que ces dernières constituaient à 80% le gros des troupes du féminisme). Celles-ci dénoncèrent la relation butch/fem comme une imitation du couple homme/femme. Le féminisme prône le retour à la femme sans rien de masculin. Au contraire, la butch, comme la fem, démontrent la discordance possible entre sexe et genre. Bourcier, Preciado et d’autres insistent sur le fait que le couple lesbien, a fortiori le couple butch/fem, ne se calque pas sur le modèle hétéro; il ne le détourne pas non plus et ne se définit pas nécessairement par rapport à lui. Il s’ancre dans une démarche volontaire d’une construction identitaire.

La théorie butch/fem renvoie en effet aux mécanismes de l’identité qu’on définit par la sexualité et les rapports de pouvoir. Leslea Newman, fem confirmée, interrogée sur ce point, ne s’y trompe pas et considère «l’expression de ma sexualité face à la société comme étant très politique».

Quant au système érotique butch/fem, pour Bourcier, «il ne reprend pas la répartition des pratiques sexuelles hétéro et s’articule autour d’une dissociation entre genre et pratiques». Par exemple, la stone butch (butch froide) refuse de se faire toucher et n’a pas forcément pour but son propre orgasme, mais celui de sa partenaire.

La philosophe Beatriz Preciado explique comment «la réappropriation du gode participe à la déconstruction de la masculinité» et à la construction d’un genre propre avec ses pratiques sexuelles intrinsèques. Pour la butch, le gode devient un instrument sans lien avec l’homme. «Le gode constitue le prolongement de sa main», toujours selon Beatriz Preciado. La relation butch/fem ne copie pas les rapports hétérosexuels.

Et si les féministes anti-sexe et anti-butch, à l’instar de Beauvoir, stigmatisaient les butchs pour leurs pratiques sexuelles et les «lesbiennes de boîtes» accusées de venir aux fêtes du Mouvement uniquement pour draguer, on constate aujourd’hui que la tendance désexualisante du féminisme s’estompe. Les butchs et les fems vivent leur sexualité en dehors de ce contexte culpabilisant.

L’affirmation de leur genre spécifique débouche sur une nouvelle interrogation que pose Catherine Florian dans «Attirances»: existe-t-il une vie pour les butchs en dehors des fems? D’après Marie-Hélène Bourcier, «on tend à enfermer la problématique butch/fem dans le couple» alors qu’il semblerait que suite à ces années de lutte, cette culture a puisé assez de force et d’assurance pour ne plus fonctionner qu’en tandem. Une butch existe en tant que butch et évolue dans les espaces queers possibles sans rechercher obligatoirement la fem assortie à sa moto. Idem pour les fems.

«Attirance» Lesbiennes fems/Lesbiennes butchs, Collectif sous la direction de Christine Lemoine et Ingrid Renard, Editions Gaies et Lesbiennes
«Queer Zones», Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, Marie-Hélène Bourcier, Editions Balland (Modernes)
«Butch/Femme, mode d’emploi» de Leslea Newman, Editions KTM