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Ni fille, ni garçon

Refusant le monde binaire, Carole, Célia, Emilie, Soph et Véro revendiquent une identité trangenre. Lesbiennes, mais ni filles ni garçons, juste entre les deux.

Fille ou garçon? Emilie évolue dans le monde en cultivant son ambiguïté. Entre genre féminin et genre masculin, simplement parce que là est sa place. Une place qui n’est pas des plus faciles à trouver dans les fonctionnements binaires de nos sociétés. Concevoir une identité transgenre demande un effort d’ouverture: ce qui déborde des classements dérange. Si un courant de la sociologie se (ré)intéresse aux questions du genre – via la multispace théorie queer –, la subculture transgenre se fait de manière individuelle mais consciente. Des filles qui vivent, travaillent, aiment, créent et réfléchissent dans une dynamique qui échappe à l’opposition féminin/masculin s’expriment sur leur tentative de concilier un corps sexué et un esprit androgyne dans un mode étroitement classifié.

Penser «hors sexe»
«Vous désirez, monsieur… «Hésitation de la vendeuse dont le regard vrille au niveau du torse, cherchant désespérément un signe… pardon, mademoiselle…». Confusion. Habitude pour ceux et celles qui le vivent quotidiennement depuis l’enfance. Ce type de scène, c’est affaire d’identité avant tout. Une identité qui se construit autour du sentiment diffus de ne s’être jamais identifié à son genre, sans désirer pour autant appartenir à l’autre. Le décalage apparaît dès l’école primaire. On préfère jouer et parler avec les garçons, on ne veut pas mettre de jupe, les trucs de filles nous gonflent. Si les modèles féminins n’inspirent pas Soph, si Emilie enviait ses copains de classe, si Célia et Carole étaient les «garçons manqués» dans leurs familles, Véro, elle, ne comprend pas pourquoi on a besoin de sexualiser: «Depuis toute petite, je me sens un être humain au milieu de plein d’êtres humains sur la planète Terre. Fille, garçon, c’est pas ça l’important.»

A la puberté les choses se compliquent, la différence physique vient rattraper la perception que l’on a de soi et du monde. «Tout de suite, le rapport est sexualisé, explique Soph. Dans le regard des autres, je suis une fille. On attend donc de moi que je me comporte comme telle.» Carole, Célia et Emilie souffrent des transformations de leur corps. Les seins en sont les signes les plus flagrants. Elles développent une forme de honte pour cette féminisation subie, leur pudeur s’exacerbe. Elles rentrent les épaules, portent des fringues larges; les allures, la démarche se font plus masculines. «Au collège, se souvient Emilie, j’étais du style à dire bonjour avec une grande claque dans le dos.» Le but pourtant n’est pas de ressembler à un garçon. Mais surtout pas à une fille. L’identification est donc d’emblée problématique. «En divisant les genres, se rebelle Véro, l’école instaure un système de compétition et ne permet aucune alternative.» Les référents manquent. Soph comme Célia iront jusqu’à s’identifier à certaines icônes gays, persuadées qu’elles auraient dû être mec et homo.

Assumer son corps sexué pour libérer son esprit, voilà en substance à quoi il faut parvenir. Lorsqu’à 10 ans, elle voit un reportage sur la transexualité, Emilie se réjouit de savoir qu’il est possible de changer de sexe. Plus tard, elle perçoit qu’il ne s’agit pas d’un problème de sexe mais de genre. Elle commence à en parler, cherche les mots justes pour se définir. Puis c’est la révélation à travers le travail de la photographe Claude Cahun; elle décide alors de vivre «entre les deux». Pour Véro, la sexualisation n’opère pas comme un obstacle. Elle se sait décalée mais ne se pose pas de questions en ce sens, puisqu’elle ne considère pas les autres en fonction de leur sexe. Moins à l’aise, Célia confie: «J’aurais voulu naître asexuée pour pouvoir être moi plus tôt. Eviter ce conflit avec mon corps, me construire indépendamment de lui.»

Lesbienne, oui mais pourquoi?
Il est intrigant de constater que c’est au sein de la communauté homo que l’on croise la plupart des transgenres. «Je ne crois pas qu’il y ait un lien, répond Véro. La sexualité est une autre quête.» Célia acquiesce: «Je me suis rarement demandé pourquoi j’étais homo. Par contre, je ne comprenais pas pourquoi je me sentais aussi décalée parmi les lesbiennes.» Soph est moins radicale: «Les mecs me plaisaient, mais je ne pouvais pas m’exprimer dans mon entier avec eux car ils m’identifiaient comme fille.» Et les filles? «Je préfère ne pas savoir ce qu’une bonne partie des lesbiennes pense de moi», admet Emilie. «Beaucoup nous perçoivent comme des ados attardés. C’est fou comme les gens ne cherchent pas à comprendre et ont besoin de catégoriser», renchérissent Célia, Soph et Véro.

Si Soph et Véro vivent et créent ensemble depuis plus de huit ans, Célia, elle, juge que son identité transgenre perturbe ses relations amoureuses: «Trouver quelqu’un pour qui c’est évident. Ne plus endosser un rôle qui n’est pas le mien.» Adepte de la séduction, Alex prétend que ça n’influence pas sa (bi)sexualité: «Que ce soit avec des femmes ou des hommes, j’adapte mon comportement. Ce qui me pousse plus particulièrement vers les femmes se situe davantage au niveau affectif.» Quant à la copine d’Emilie, tout de suite attirée par ce côté androgyne, elle apprécie pleinement son ambivalence: «Nous avons de multiples facettes, pourquoi s’enfermer dans une seule image?»

«Il y a peut-être un effet miroir dans mon homosexualité, hasarde Emilie. Je me tourne vers les femmes pour assumer mon corps non masculin…» Reste que Carole, qui vit depuis des années avec un garçon «doux, sensible et efféminé» n’est pas dupe non plus de son attirance pour les filles. Si elle fréquente essentiellement des lesbiennes, c’est bien parce qu’avec elles, elle se sent «à l’aise, plus proche, plus libre» d’exister comme transgenre.

Visibles malgré elles?
Ce que ces filles ont en commun et qui induit le doute, c’est bien leur apparence, reflet de leur dualité. Look neutre ou plus émargé, il balance entre féminin et masculin. A la question de savoir quelle part de contrôle elles ont sur l’image qu’elles renvoient, Alex, Emilie et Carole – plus unisexes que masculines – avouent aimer en jouer: «Je ne rectifie pas quand on m’appelle “monsieur”, explique Emilie. Cela prouve que j’arrive à faire passer ce que je suis, puisque les gens en doutent eux-mêmes.» Carole a été fascinée par la scène de maquillage dans Nikita: «Pour les fêtes déguisées, je m’habille en fille.» Alex en use autant dans la séduction que dans les rapports sociaux: «Avec les mecs, il y a trois types de réaction: l’indifférence, le charme et le copinage.»

Treillis, Doc Martens et crâne rasé, Célia par contre n’a pas l’impression de contrôler: «Je ne peux pas faire autrement. C’est bizarre, j’aurais le sentiment de me travestir en m’habillant en fille. Peur que tout le monde me regarde. Alors même que telle que je parais, je sais qu’on ne me rate pas.» Soph et Véro, musiciennes underground, ont tout à fait conscience de ce que peut renvoyer leur look punk. En plus de l’ambiguïté du genre, elles affichent une position politique, minoritaire elle aussi. La visibilité dans tous les cas est assumée. «Il ne s’agit pas de revendiquer notre homosexualité, précisent les musiciennes, ne pas permettre que les gens disent “ça explique tout”. Au contraire, l’idée c’est d’être nous-mêmes et d’amener les autres à réfléchir autrement, sans que le sexe soit le point de départ.» Emilie trouve dur d’expliquer son ambivalence car «peu de gens font l’effort de comprendre». Célia reconnaît que le sujet n’est pas non plus aisément abordable avec les lesbiennes: «La communauté nous catégorise comme butches sans s’intéresser à notre particularité identitaire. S’assumer transgenre, c’est un travail de construction très solitaire.»

Ce qu’il faut retenir ici, c’est qu’il n’existe pas de communauté transgenre, mais une multide d’identités qui, malgré tout ,créent leur culture. Intéressée très tôt par les représentations de l’androgynie dans l’histoire, Emilie s’approprie le terme pour se définir et ainsi se légitimer. Pour Célia, le mot «transgenre» est plus parlant: «Il est compact et explicite: il s’agit de passage, de genre et d’alternative.» En analysant les lacunes de la langue, elles en arrivent à la même conclusion: «La société ne nous conçoit pas. C’est peut-être pour ça qu’on a besoin de se rendre visible.» Les autoportraits transformistes d’Emilie attestent de cette nécessité. Célia anticipe: «A nous d’inventer et d’occuper l’espace. De créer comme nous sommes: hors champs.» Pour elle comme pour les musiciennes, la démarche politique est indispensable: «On a de la chance d’avoir une réflexion là-dessus et d’être nées en France. On doit agir à notre niveau pour les autres, en existant d’abord soi-même parmi les autres.» Et si chacune tente de se situer individuellement, le désir d’échanger est net.