Lausanne

Guinguette Queer

dim 5 mai, 15:00
La Chaux-de-Fonds

Bang! Bang!

mer 15 mai - sam 25 mai
Genève
#exposition

Ex-eroticis: Art et fierté du livre secret

ven 26 avril - ven 31 mai
Genève
#Musique

Gaye Su Akyol

sam 18 mai, 20:30

Les délices du Dr Schwarz

FEUILLETON ÉROTIQUE (2)

RESUME DU PREMIER EPISODE
Lors d’un accident de voiture, les parties génitales de Grégoire Schwarz sont littéralement mises en pièces. On rafistole et on panse le tout à l’hôpital. Plongé durant quelques heures dans le coma, ce volage médecin et père de famille voit défiler ses vingt-cinq années de vie sexuelle. Désormais, il ne fera plus que des rêves érotiques.

DEUXIEME EPISODE
Plongé dans le sommeil, Grégoire multipliait mimiques et grognements d’aise. De part et d’autre du lit, une opulente infirmière congolaise et Drago Stepanovic, le chirurgien, se demandaient ce qui pouvait susciter une telle béatitude chez cet homme à la virilité à peine recousue. Ils refusaient, compte tenu des circonstances dramatiques de l’accident et de la bienséance, de reconnaître l’évidence: Grégoire faisait un rêve érotique.
Sylvie était la plus belle de toute la volée d’étudiants de première année. La plus belle et la plus folle de ces carabins. Grégoire l’avait repérée dès le premier jour de cours. Surmontant sa timidité de post-adolescent, il s’était assis à côté de cette noiraude aux yeux verts, tout au fond du grand auditoire. Elle l’avait toisé avec son éternel air amusé. Il avait tenté, sans succès, de soutenir son regard de chatte afin de paraître plus sûr de lui qu’il ne l’était. Un seul repas à la cafétéria avait suffi pour sceller leur complicité. Et le soir même, il s’était retrouvé chez cette fille à papa, qui avait déjà son propre appartement avec terrasse ombragée et vue sur le lac, sa Golf GTI, une invraisemblable collection de baskets et d’escarpins et des sérigraphies de Corto Maltese et d’autres classiques de la bande dessinée sur les murs.
«Ma meilleure amie, une ancienne copine de classe, va passer. Tu veux une bière?» Couché sur une des quatre chaises relax de la terrasse, Grégoire se disait que cette première journée d’université commençait vraiment bien. Mais pour lui qui vivait encore chez ses parents, la confortable autonomie de sa rencontre du jour lui semblait irréelle. Pour la première fois, il éprouvait le sentiment diffus d’entrer dans l’âge adulte.
Coup de sonnette, un carillon en sol mineur (Greg, excellent violoncelliste, avait l’oreille absolue). C’était Mia. Les deux jeunes filles avaient passé leur bac ensemble. Cette piquante petite rousse avait choisi, elle, d’entrer à l’école d’infirmières. Mia sembla contrariée par la présence de cet inconnu. Elle lui tendit une main molle et le salua plutôt sèchement.
Trois bières plus tard, l’ambiance s’était tout à fait détendue. Greg commençait même à ressentir un certain trouble: les deux amies avaient rapproché leurs chaises longues et se prenaient la main de manière de plus en plus équivoque. Et quand Sylvie, se penchant sur le visage moucheté de taches de rousseur, posa ses lèvres sur celles de Mia, il eut l’impression que la terrasse venait d’essuyer un tremblement de terre.
Glissement de jeans, envolée de T-shirts, disparition de culottes, apparition de deux petits vibromasseurs… Elles faisaient l’amour, se suçotaient à tour de rôle les seins, se léchaient doucement le sexe, jouaient avec les gadgets roses et bleus. Tétanisé comme le dernier des blaireaux sur les coussins de son transat, Greg avait renoncé à prendre une contenance et s’agrippait désespérément à sa cannette.
Sylvie tourna la tête vers lui avec cet éternel et fichu sourire moqueur: «Tu peux te joindre à nous si tu veux.» Et là, ce fut comme un bûcher qui s’était subitement allumé entre ses jambes, une douleur indescriptible. Paolo (le surnom qu’il avait donné à son sexe) s’était réveillé, écourtant son onirique flash-back. Greg ne savait pas qu’à son prochain endormissement, le rêve allait se poursuivre exactement là où il s’était arrêté. Mais cela ne l’aurait pas consolé. Il hurlait.
Martine, l’infirmière congolaise, et Drago se jetèrent sur leur patient. Une piqûre suffit à calmer l’orage électrique qui lui avait vrillé le cerveau. Les deux soignants pouvaient se préparer à déballer le sexe emmailloté et à effectuer un premier contrôle.
C’est à l’instant fatidique du déballage que sonna le téléphone mobile posé à côté du lit. C’était Lola, son amante, inquiète de ne pas avoir reçu le traditionnel SMS assurant qu’il était bien rentré chez lui. Lola… cette merveilleuse emmerdeuse…
Proust, l’Himalaya littéraire de Greg, avait parfaitement exprimé le problème qui accompagnait, voire qui parasitait cette relation passionnelle: «Sentant que souvent il ne pouvait pas réaliser ce qu’elle rêvait, il cherchait du moins à ce qu’elle se plût avec lui, à ne pas contrecarrer ces idées vulgaires, ce mauvais goût qu’elle avait en toutes choses, et qu’il aimait d’ailleurs comme tout ce qui venait d’elle, qui l’enchantaient même, car c’était autant de traits particuliers grâce auxquels l’essence de cette femme lui apparaissait, devenait visible.»
Tout comme Swann, Grégoire Schwarz mettait discrètement son intuition en alerte quand il était avec Lola. Elle avait le reproche cinglant et le commentaire acerbe quand il commettait, à ses yeux, une erreur de jugement ou de comportement.
Il appuya sur le bouton vert de son mobile et la voix adorée résonna comme une musique des sphères au milieu d’un champ de ruines:
«Allô Greg?»
Dans la vie réelle, se dit-il, il y a des situations qui dépassent en absurdité les rêves de fièvre les plus délirants. Une matrone ébène aux seins formidables qui déballait Paolo-Frankenstein d’un côté et une performance téléphonique difficile à assurer de l’autre… C’était beaucoup pour un esprit encore embrumé par l’état de choc.
Aurait-il le cran de jeter un œil sur sa bite et ses boules suturées, sur le nouveau visage décalotté à vie de son compagnon de route et de déroutes, sur son double en modèle réduit, sur cette ombre miniature qui l’avait plutôt fidèlement suivi jusqu’à cette fichue cabriole automobile?
Allait-il faire partager en direct à son amante ces retrouvailles post-opératoires, son possible effarement, sa probable consternation, voire son sentiment d’horreur? Allait-il seulement réussir à articuler un mot? Il n’en savait foutre rien. Il avait juste envie de pleurer comme un petit enfant qui s’est fait une grosse bosse au front.
«Greg? Tu es là, oui ou merde?»
(à suivre…)