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Chemin de traverse

LIVRE - Avec «La mauvaise vie», Frédéric Mitterrand regarde par-dessus son épaule pour contempler le triste parcours d’amour qui a été le sien. Une succession de fondus-enchaînés qui sillonnent sa mémoire comme un cutter caresserait profondément la chair pour en révéler l’intimité gâchée. Un livre sublime, d’une redoutable honnêteté.

«Je ne saurai jamais pourquoi je me détestais autant et jusqu’au point d’aimer celui qui me ressemblait et ne m’aimerait pas non plus, ni pourquoi il m’aura fallu atteindre le seuil de la vieillesse, alors qu’il est bien trop tard, pour reconnaître que c’était une erreur de se haïr soi-même avec tant de persévérance quand j’aurais pu obtenir d’être aimé tout aussi bien qu’un autre.» S’il n’était son style et sa clairvoyance, La mauvaise vie pourrait n’inspirer qu’un ennui nauséabond. Cette vilaine odeur tenace qui parfume l’haleine des syphilitiques de l’écriture qui ont par trop râlé leur morgue au moment de l’explosion compulsive de l’autofiction comme nouveau produit littéraire. Mais Frédéric Mitterrand ne saurait être de ceux-là. Son écriture est ailleurs, toute occupée à un travail de persévérance et de justesse. L’homme n’entreprend cependant pas un clinique bilan autobiographique, tout au plus une balade dans les méandres des secrets qu’il s’est imposés avec tant de patience et d’application. Un geste de beauté, une œuvre de mémoire, simplement. Presque un soulagement. Presque.
Avec la grâce contrite qui habite le personnage de retenue maniérée et élégante qu’on retient de sa présence télévisuelle, Frédéric Mitterrand prend un contrepied aux regrets d’un Villon agonisant. Si l’homme de médias plaint le temps de sa jeunesse au moment où il en contemple le bouquet fané, il en effeuille chaque pétale soigneusement conservé entre les pages du lourd volume de sa mémoire, pour les disposer sur sa table comme une réussite ne révélant qu’un jeu à somme nulle. Pour en regretter l’absence de jouissance. Partagée du moins (mais saurait-il en être autrement?). Une partie de solitude profonde lors de laquelle chaque carte retournée ne rappelle rien que l’élan de son âme qui n’a jamais su dépasser le seuil de ses espoirs silencieux. Un jeu de patience disent les vieilles dames. En attendant quoi? L’homme n’a eu de cesse de baisser les bras quand il aura cherché toute sa vie l’abandon.
Les pages filent comme un voyage de fin d’été, le parfum des bagages emplissant la tête d’une mélancolie tiède comme celle qui parcourt parfois l’échine après les demi-sommeils que seuls savent bercer les trajets de retour: les amours avortées, les silences, les déclarations tues, les caresses jamais adressées.
Pathétique. Bien sûr. Impossible de ne pas souffler le mot terrible. Mais avec tendresse, avec compassion. Sans complaisance, sans mensonge, l’homme se livre, à lui-même, puisque c’est ce qu’il s’est toujours interdit. Corps et âme. Sans plus les prétextes et les vraies raisons, sans plus la tentation si maladivement bourgeoise des causes, sans plus les faux-fuyants, pour reprendre l’expression de Sagan, qui par ailleurs effleure de son ombre quelques pages de La mauvaise vie de sa touchante maladresse.
En marge, c’est aussi le livre d’une génération. Au-delà des tiraillements de la personnalité qui signe sa seule mauvaise vie. Qui se souvient d’une enfance d’après la guerre, de libertés qu’on serait tenté d’envisager aujourd’hui comme une crasse banalité, de triviaux acquis.
Un livre-compagnon, essentiellement. Parce qu’ils sont rares ceux-là qui se livrent avec autant de générosité et de pudeur. Un livre de bienveillance quand son auteur n’a pas su prendre soin de lui. Un témoignage bouleversant et rare qui amène à son lecteur le regret de ne l’avoir pas rencontré plus tôt. Pour lui souffler alors que la vie est possible. Avant de se souvenir que la sienne commence, comme celle de chacun, et que ce livre refermé en est le signe heureux et l’encouragement. La mémoire est une couleur.

La mauvaise vie, de Frédéric Mitterrand, Ed. Robert Laffont, 351 p., CHF 39,50