La Chaux-de-Fonds

Bang! Bang!

mer 15 mai - sam 25 mai
Genève

36 gr.

ven 26 avril, 23:00
Genève

Goudoux Manif

ven 26 avril, 19:00
Lausanne
#non mixte

Zeus

sam 4 mai, 21:00

Galère en Calabre

Galère en Calabre
Italie, Calabre, Gizzeria, le 23 septembre 2017. Centro di accoglienza straordinaria «  Il Gabbiano «Nasser, 20 ans, Ghana. © Magali Girardin.

L’orientation sexuelle est un motif important d’exil. elle est cependant rarement prise en compte lors de l’étude d’une demande d’asile en Europe. Reportage auprès de nouveaux arrivants sur les côtes italiennes.

«T’es demandeur d’asile, noir et en plus gay!!! En Calabre, c’est vraiment pas de bol!» La phrase moqueuse, lâchée dans un éclat de rire par un jeune Calabrais travaillant dans un centre pour migrants témoigne d’une réalité crue. Souvent persécutés dans leur pays, voire légalement menacés de la peine de mort, les migrants homosexuels subissent ici la double peine. Celle de la condition difficile de l’exil, doublée d’une stigmatisation violente dans une région catholique conservatrice.

Nasser a 20 ans, un visage doux et le regard rieur. Il fait partie des premiers migrants hébergés dans un centre de premier accueil près de Lamezia Terme en Calabre. «J’ai été embarqué, contre ma volonté, sur un bateau pneumatique, une nuit», détaille-t-il avec précision. «Nous étions enfermés depuis des mois près de Sabratha, en Libye et contraints de travailler pour obtenir à manger. J’étais très fatigué, je ne supportais plus les coups et les remarques sur ma différence.» C’est à dire ? «On se moquait de moi parfois, j’étais très jeune, je n’avais pas 17 ans lorsque je suis arrivé en Libye», ajoute-t-il, gêné d’évoquer cette féminité exprimée dans sa gestuelle. «J’avais fui le Ghana parce que je ne trouvais pas de travail, j’étais raillé, menacé pour ma différence, il n’y avait pas d’avenir pour moi là-bas. Et avec ma famille, c’était compliqué. Mais je ne voulais pas forcément venir en Europe, je voulais juste vivre en paix.»

D’Afrique
En Calabre, Nasser a trouvé la paix, mais pas encore la sécurité. Dans le centre où il loge avec trois autres Africains, il assure n’être pas rejeté. Si la pudeur et les craintes de Nasser l’empêchent encore aujourd’hui de prononcer le mot homosexuel, ici tout le monde sait et ça ne pose pas, en apparence, de problème. «Plusieurs gays vivent ici, sans difficulté», assure Giovanni Carino, responsable du centre d’accueil situé au bord de la mer Thyrénienne. «Le problème pour lui, comme pour d’autres, c’est la difficulté à faire accepter sa demande d’asile sur cet unique motif. C’est regrettable mais pour obtenir le statut de réfugié, il faut venir d’un pays où l’homosexualité est passible de peine de mort, voire de prison à vie. Les persécutions dont sont victimes ces personnes dans leur société ne rentrent souvent pas en ligne de compte.» D’autres sources confirment sur place que «sans preuves tangibles», telles menaces écrites, articles de journaux ou condamnations lourdes dans leur pays, les persécutions ne sont pas reconnues et la demande d’asile n’aboutit pas.

Venant du Ghana, où l’homosexualité n’est pas pénalisée, Nasser n’obtiendra certainement pas le droit d’asile. Dès lors, les perspectives d’avenir du jeune homme sont floues. «L’Italie ne renvoie pas les migrants lorsque leur demande d’asile est rejetée», explique un élu local sous couvert d’anonymat. «Comme beaucoup d’autres, il finira dans la clandestinité et devra se débrouiller pour ne pas tomber dans des réseaux de traite d’êtres humains, très actifs dans cette région.» Mais Nasser ne baisse pas les bras, il veut s’en sortir. «J’aimerais travailler légalement, être accepté pour ce que je suis et ce que je sais faire.» Pour cela, il s’active déjà au centre proposant son aide aux arrivants et en se positionnant toujours pour travailler. «Je découvre les métiers de l’agriculture», raconte-t-il. «En ce moment c’est la saison des olives, j’apprends à les préparer avec une famille calabraise formidable. Ils m’ont beaucoup aidé à apprendre l’italien et à m’intégrer ici.» Des moments de répit chaleureux qui ne lui font pas oublier la situation critique dans laquelle il se trouve.

Italie, Calabre, Riace, le 28 septembre 2017. © Magali Girardin.
Italie, Calabre, Riace, le 28 septembre 2017. © Magali Girardin.

Du Cameroun
Landry, 33 ans est hébergé à Riace, un village réparti en deux hameaux l’un au bord de la Méditerranée, l’autre sur les collines à une dizaine de kilomètres. Une commune mondialement connue depuis que son maire, Domenico Lucano, a été nommé parmi les 50 personnes les plus influentes au monde par le magazine économique américain «Fortune» en 2016. «Ici, je me sens bien, libre et respecté», souligne d’emblée celui qui reste marqué par ses mois de captivité en Libye. «Je ne suis pas gay, mais j’ai dû fuir le Cameroun pour avoir milité des années pour les droits des personnes LGBTI, encore discriminées. Lorsque mon frère, gay, a été assassiné, ma famille m’a demandé de partir. La situation devenait vraiment dangereuse pour moi et pour eux.»

Poursuivi, menacé, le jeune homme franchit les frontières et survit quelques années de petits boulots en Côte d’Ivoire, au Bénin, en Algérie et au Niger, jusqu’à son arrivée en Libye. «Là, c’est l’enfer, une fois que tu as mis le pied dans ce pays, tu n’en sors que mort ou par la mer, impossible de faire marche arrière», se souvient-il. «Et les personnes LGBT, si elles sont démasquées sont souvent froidement tuées. On ne peut pas imaginer ça, c’est de la boucherie.» Capturé et enfermé dans un poste de police, il reconstruira à mains nues, avec un autre jeune Africain, les murs du bâtiment. «Je savais crépir et mes quelques notions de menuiserie m’ont aidé», explique l’ancien étudiant de Douala. «Après plusieurs mois, ils nous ont libérés, mais sans argent ni papiers d’identité.» Landry comprend alors que son salut passe par la mer, mais il a peur. «Toutes les nuits je voyais des gens partir sur des bateaux surchargés et, comme je n’avais pas d’argent, je restais sur la plage, la peur au ventre», se souvient-t-il. «Et tous les matins, on voyait revenir des corps qu’on enterrait sans pelle dans le sable. Jusqu’au jour où j’ai pu partir aussi, en priant.»

Italie, Calabre, Riace, le 1er octobre 2017. © Magali Girardin.
Italie, Calabre, Riace, le 1er octobre 2017. © Magali Girardin.

Du Pakistan
Arrivés en 2015 sur des barques de fortune parties de Grèce, Wallei et Al Ahrman ont accosté directement sur les côtes calabraises. Les deux jeunes gays pakistanais se sont rencontrés à Gizzeria, au bord de la mer Tyrrhénienne et vivent vivent «ouvertement» leur relation. «On loge dans un hangar avec les asiatiques et on nous laisse tranquilles», assure Wallei. «Hormis quelques petites vannes homophobes parfois, on n’est pas ennuyés ici.» Persécuté et menacé de mort au Pakistan, Al Ahrman a fui son pays en compagnie de son compagnon. Mais la route de l’exil a séparé le couple. «C’était très dur, au début j’étais parti pour lui, pour vivre avec lui», confiet-il. «Aujourd’hui je suis heureux avec Wallei, mais je veux quitter la Calabre. Il n’y a pas d’avenir ici pour moi. Je parle anglais, j’ai fait des études en informatique et je veux vivre libre dans une région où les gays ne sont pas rejetés.» Son compagnon tient le même discours. «J’ai parfois l’impression qu’on fait l’effort de nous accepter au centre parce que nous sommes des migrants et que nous allons repartir», avoue-t-il. «Mais vivre en Calabre en étant gay doit être difficile.» Tout comme Landry, Wallei et Al Ahrman obtiendront probablement leurs papiers pour rester en Europe. L’homosexualité est toujours passible de la peine de mort au Pakistan et le jeune Camerounais a pu apporter suffisamment de preuves des persécutions dont il a été officiellement victime.

En Calabre
Mais la Calabre n’est certainement pas la région la plus appropriée pour se reconstruire une vie pour un migrant LGBTI. Une réalité confirmée par la plupart de nos intervenants, très souvent gênés d’aborder le sujet. «C’est vrai qu’afficher son homosexualité pose plus de problème qu’autre chose», reconnaît un trentenaire très impliqué dans la société civile. «Pourtant, il faut accepter ces gens et les intégrer, ils n’en peuvent rien, ce n’est pas de leur faute.» Face à notre étonnement, il poursuit. «Ce n’est pas normal d’être homosexuel.» Un autre Calabrais, issu d’une famille plutôt progressiste, nous confiait pourtant. «Un ami dont j’étais très proche m’a annoncé un jour être gay», confiet-il. «J’ai mis du temps à l’accepter et je m’en suis éloigné. C’est idiot, peut-être, mais quelque part je me sentais trahi et j’étais mal à l’aise en sa présence.»

«A Lamezia Terme, l’esprit catholique conservateur a la dent dure. Un ancien élu de la région avait choisi d’afficher publiquement son homosexualité», explique notre interlocuteur. «Mais à partir de ce moment-là, il n’était plus crédible et a fini par arrêter la politique.» Des préjugés et des stigmatisations, plus virulents que dans le nord de l’Italie, mais qui restent bien ancrés dans un pays qui a pourtant légalisé les relations homosexuelles en 1890 et adopté l’union homosexuelle en 2016. Difficile dès lors pour les migrants gays d’espérer une véritable intégration dans cette région. Futurs clandestins, pour la plupart, il leur est d’autant plus difficile de quitter cette terre d’accueil peu bienveillante à leur égard. Et rentrer au pays? «Pas question», répondent Wallei, Nasser et Al Ahrman à l’unisson. «Ce serait pire pour nous là-bas, notre avenir est en Europe.» Seul Landry envisage de rentrer au Cameroun. «Je veux essayer d’aller en France, apprendre la pâtisserie pour retourner un jour librement dans mon pays», assure le dandy de Riace, soulignant que ses amis et sa famille lui manquent ici. «Si Dieu le veut et surtout si Boko Haram se retire, parce que je ne renoncerai jamais à militer pour les Droits humains dans mon pays.»

» Ce reportage a été réalisé grâce à la Bourse Jordi décernée au printemps 2017 à la photographe Magali Girardin et à la journaliste Isabel Jan-Hess