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L’école est-elle encore sexiste?

A Genève, des collégiennes ont déposé une pétition pour réclamer la modification du matériel et des contenus des programmes scolaires. «Pas assez égalitaires!», jugent-elles. L’occasion de s’interroger plus largement sur toutes les normes cultivées en milieu scolaire.

«Sur six lectures obligatoires au collège, aucune n’est écrite par une femme, il y a une énorme lacune», constate Garance Mugny et trois autres étudiantes des collèges Rousseau et Voltaire. Elles viennent de déposer au Grand Conseil genevois une pétition demandant une modification du matériel et du contenu des programmes scolaires afin d’y introduire plus d’ouvrages égalitaires et des œuvres d’auteures. C’est un cours de droit sur l’égalité homme/femme qui a provoqué le déclic: les collégiennes ont perçu à quel point les auteures étaient absentes de leurs cours, tout comme les personnalités féminines historiques dans les manuels scolaires.
Ce n’est pas étonnant si cette pétition égalitariste émane d’étudiantes de l’enseignement secondaire: on ne se rend compte du caractère normatif des cours qu’à l’adolescence (voire bien plus tard) alors que le véritable malaise vis-à-vis de la représentation de la femme véhiculée par l’école est plus profond. Ses influences et les difficultés engendrées remontent à l’enseignement primaire et, plus largement, à la petite enfance. Pour Anne Dafflon-Novelle, docteur en psychologie et assistante en psychologie sociale à l’Université de Genève, toute l’acculturation des comportements de genre se joue avant la puberté, «les efforts pour favoriser une égalité entre les sexes sont essentiels, mais ces mesures sont prises dès l’adolescence, alors que l’intériorisation de la norme se fait avant».
Si la vocation de l’école a longtemps été d’apprendre à lire, écrire, coudre et sourire à la dame, les exigences de la société de masses vont transformer l’instruction publique en véritable agent de socialisation qui va transmettre des valeurs, des identités, des visions de société et non plus uniquement des pratiques. D’où les stéréotypes inégalitaires sur les rôles des filles et des garçons dans les manuels scolaires, qui vont conditionner des attitudes et des comportements aussi bien professionnels que familiaux.
L’examen de la littérature enfantine est révélateur de ce phénomène, les auteurs de ces recueils de textes destinés aux enfants mettant en scène leur propre représentation des relations entre garçons et filles, qui est ensuite assimilée par les élèves. «Dans la littérature enfantine, remarque Anne Dafflon-Novelle, la majorité des héros sont des garçons, cette asymétrie quantitative s’explique par le fait qu’on pense que le héros va convenir aussi bien aux garçons qu’aux filles, alors qu’une héroïne ne peut convenir qu’aux petites filles, donc on va souligner que le sexe masculin est le sexe de référence». Cependant, des études relativisent cette vision, les enfants n’ayant pas acquis la notion de sexe dominant, mais se basent au contraire sur le «sexocentrisme»: les groupes de référence de chacun correspondent à leur sexe, et c’est à l’âge adulte que le groupe de référence va devenir, inconsciemment, le masculin.
La vision égalitaire des enfants va être progressivement modifiée par la socialisation de la société et de son école. Une expérience sur une palette de gens compris entre 4 et 40 ans, égalitairement distribuée entre masculin et féminin, suffit à le démontrer: «On va demander à chacun de dessiner un enfant, et on constate que les garçons vont dessiner des garçons, les filles vont dessiner des filles. Les hommes dessinent des
garçons, mais les femmes dessinent des garçons».

Hans et Liselotte sont sur un bateau
Pour ma part, j’ai toujours dessiné des garçons – et pour cause me direz-vous –, mais fondamentalement, nous sommes tous les produits d’une institution qui se veut la gardienne des valeurs républicaines d’universalisme et d’égalité. Il suffit de se replonger dans les manuels scolaires qui ont éduqué ma génération pour saisir le décalage et pour comprendre l’obscurantisme ou tout au moins la passivité partagée par une large majorité de la société quant à l’égalité homme/femme.
En 1988, le petit Pablo est en classe de primaire avec pour support de cours un recueil de textes intitulé «Au fil des textes». Je me souviens que l’un des textes ayant retenu mon attention était «Le K» de Buzzati, un classique de la littérature scolaire. C’est l’histoire de la vie d’un garçon, de sa jeunesse à sa vieillesse, une histoire métaphorique sur le cours d’une vie, du passage à l’âge adulte, à laquelle les garçons peuvent s’identifier contrairement aux filles qui ne bénéficient d’aucun texte similaire. Les garçons y sont souvent présentés comme aventuriers, sûrs d’eux, curieux, choisissant leur destinée, compétitifs tandis que les filles sont confrontées aux difficultés de la vie et abordent des thèmes comme la misère, l’injustice, le sexisme, le racisme mais aussi la tolérance et la créativité. Ainsi dans «La rivière», le garçon s’aventure sur une rivière à bord d’une barque complètement pourrie, il brave les forces de la nature quand la barque se brise, seuls les garçons entrent dans cette confrontation avec la nature.
Les pères occupent une plus grande place que les mères, qui sont reléguées à un rôle secondaire, ce sont eux qui expliquent la vie aux enfants, qui les protègent et transmettent le savoir. Ils ont des métiers valorisants de chefs d’entreprise, professeurs, agents de l’ordre, des postes de pouvoir politique, économique et social. Les femmes sont institutrices, ouvrières ou servantes, des fonctions utilitaires sans moyen d’influence. Dans «Gardez le sourire», texte qui met en scène deux femmes, une hôtesse de l’air est aux prises avec une passagère hystérique et grotesque…
«Au fils des textes» est encore utilisé dans les écoles primaires genevoises. Le Cycle d’Orientation s’appuie sur les manuels de «Littérature et pratique du français» (1999), il s’agit d’étudier et analyser la structure d’une série de textes d’auteurs célèbres, un rapide coup d’œil à l’index nous apprend que seuls 10% des auteurs sont des femmes.
Plus tard dans ma scolarité, j’eus droit aux joies de la langue de Goethe et fis la connaissance de la célébrissime Familie Schaudi. Une joyeuse bande de Teutons composée de Herr Schaudi, Frau Schaudi, leur fils Hans, sa copine Liselotte et leur fidèle canidé Lumpi.
Dès la première leçon, la tendance est donnée, Hans est le personnage central autour duquel tourne l’histoire, il se présente puis désigne son père – un banquier et notable de la jolie ville de Cadolzburg – qui désigne Hans comme son fils. Puis intervient sa mère, véritable stéréotype de la femme au foyer avec son éternel tablier, figée dans sa posture de nourricière-ménagère, qui désigne son fils, lequel, en retour, désigne son chien. «Hans ist mein Sohn» seront ses seuls mots. Frau Schaudi est la caricature lamentable de la Putzfrau, littéralement inféodée à son mari et dont la capacité d’initiative est équivalente à celle d’une plante verte. Quand celle-ci s’aventure à émettre une opinion, la sanction tombe immédiatement:
– Herr Schaudi: «Bitte, nicht unterbrechen, meine Liebe!».
– Frau Schaudi: «Verzeihung, Heinrich!».
Liselotte n’est pas mieux lotie, elle est présentée comme le faire-valoir de Hans, dans son rôle de jeune écervelée, la copine, certes gentille, mais ô combien stupide et naïve. En visite à Cadolzburg, la sotte trouve le moyen de confondre la poste et la mairie, en forêt, elle se perd, puis s’étale lamentablement et se blesse à la jambe, heureusement que Hans connaît la ville, qu’il a des connaissances en premiers secours et le sens de l’orientation pour sortir de la forêt autrichienne.
Les nouveaux manuels d’allemand utilisés dans les cycles d’orientation appartiennent à la série des «Sowieso». On sent, dès la première lecture, que du chemin a été fait: à la question «Was ist eine Familie?», on découvre des photos de couples sans enfants, de familles monoparentales, et, bien sûr, la sacro-sainte famille traditionnelle. Les hommes sont (parfois) au fourneau mais ne semblent pas vraiment à l’aise dans une cuisine tandis que les femmes ont des métiers variés et excellent à l’aspirateur.

Familles normées
Autant d’exemples que connaît bien Huguette Junod, auteure d’une étude issue des «études genre» de l’Université de Genève et intitulée «De l’idéologie sexiste des manuels scolaires à une éducation égalitaire» (1998). Cette étude analyse le contenu sexiste sous-jacent des livres scolaires et leur partialité dans la représentation du rôle social des femmes. Et elle offre un éclairage particulier sur le mécanisme, souvent inconscient, de la construction inégalitaire. Aujourd’hui, les manuels scolaires ont certes évolué dans le bon sens. Mais on constate que le corps enseignant participe souvent à la perpétuation de la vision rétrograde des rapports homme/femme. Selon Huguette Junod, «il n’y a pas, chez les responsables de l’éducation, les auteurs de manuels, les enseignants, de volonté discriminatoire. L’inconscient joue ici un rôle important, reproduit les schémas et les stéréotypes des sociétés des siècles précédents».
Cette réflexion amène d’autres questions, notamment sur les modèles normatifs que véhicule inconsciemment l’école. Qu’est-ce que le couple idéal? Qu’est-ce qu’une famille traditionnelle? On le sait, les familles dépeintes dans les manuels ne correspondent plus à la réalité de la composition des familles contemporaines. On représente toujours la famille standard, un père dominant, possédant le pouvoir, une mère qui transmet le pouvoir et des enfants qui subissent cette domination. Or, il faut tenir compte de la réalité: 50% des familles sont recomposées ou monoparentales. Et que dire des parents homos, dont l’existence est niée…
Pour Salika Wenger, députée genevoise, membre de la commission de l’éducation du Grand Conseil et du comité de Dialogai, il ne faut pas imposer un modèle qui n’existe plus. «Les couples gays remettent en cause le modèle classique par deux caractéristiques: une relation égalitaire – pas de transmission du pouvoir – et de plaisir». Ainsi les problématiques de l’égalité et de la lutte revendicative des homos sont liées car «quand les femmes sont des poufiasses, les gays sont des pédés».
D’aucuns l’admettent: il faudrait une prise de conscience de la part des autorités scolaires, des enseignants, des parents afin de produire une critique des images de société que nous avons intériorisées. Difficile certes de s’attendre à une révolution, mais il s’agit au moins de continuer à œuvrer pour la réforme des contenus et des manuels scolaires. Garance Mugny et les autres collégiennes pétitionnaires ont rencontré les responsables du Département de l’Instruction Publique et leurs efforts ont été payants: ils ont abouti à la mise sur pied d’un cours à option sur l’histoire de l’art des femmes dans les degrés post-obligatoires et une lecture imposée en français d’une auteure. C’est déjà ça.