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Écologies déviantes

Écologies déviantes
Cy Lecerf Maulpoix, Pink Bloc du 1er mai 2017, Paris. Photo: Xavier Héraud

Devant l’urgence écologique, le monde se passera difficilement de la colère pailletée des pinks blocs. Portrait de Cy Lecerf Maulpoix, militant pédé pour la justice sociale et climatique.

Une écologie queer, vraiment? Cy Lecerf Maulpoix, journaliste indépendant bientôt trentenaire, ne savait guère définir l’approche il y a encore cinq ans, lorsqu’il vivait ses premiers engagements pour l’écologie en amont de la COP 21. En revanche, ce qui lui sautait déjà aux yeux à Paris, en 2015, parmi les nombreux groupes en train de faire coalition pour mettre la pression aux gouvernements sur les questions climatiques, c’est que la parole et les processus décisionnels étaient, sans grande surprise, largement dominés par les mécaniques virilistes et hétérosexistes. Cy, de son diminutif militant, constatait un «impensé» évident autour des présences minoritaires dans ces espaces mêlant anticapitalistes et écolos plus mainstream. Dans ces interstices, les LGBTIQ+ avaient clairement une place à prendre.

Il fallait queeriser les luttes climatiques. «J’étais habité par l’inventivité et la puissance qu’avait constitué l’activisme de l’époque d’Act-Up, les stratégies de blocage et d’occupation de l’espace public». Un groupe de militant·e·s écolos LGBT émerge, puis LGBTI Pour le Climat naît quelques mois plus tard. Rebaptisé Panzy (hybride anglais de «tapette» et de «pensée», la fleur) le collectif cherche à disséminer un imaginaire plus fantasque dans ses actions.

Or, en plein état d’urgence post-attentats, l’investissement empêché de l’espace public parisien est devenu un enjeu. A l’époque, si Panzy galvanise autour de ses événements, les préoccupations environnementales n’accrochent pas encore les luttes transpédégouines. «L’angoisse de l’effondrement, de l’écocide en cours, n’était pas la même qu’aujourd’hui et d’autres urgences quotidiennes prennent logiquement le pas», précise-t-il.

Quête écosexuelle étasunienne
Pour panser ces «fractures» dans les espaces communautaires, Cy prend un recul californien en 2016, un «périple mémoriel et initiatique» au sein d’éco-communautés queer. Sur ces terres étendues jusqu’en Oregon, les articulations entre justice sociale et climatique avaient déjà fait du chemin depuis les années 70. «La contre-culture de l’époque, marquée par un grand mouvement rural, politique et théorique Back to the Land, a aussi participé à une forme de «ruralisation» de certains modes de vie transpédégouines anticapitalistes», pour s’émanciper notamment des violences sociales dirigées contre les minorités jugées «contre-nature».

Entre chèvres, lamas et permaculture, Cy consolide ses savoirs et pratiques roses-vertes. Il découvre les Radical Faeries, ces communautés gays rurales, qui ont créé de véritables sanctuaires pour leur communauté dès les débuts de l’épidémie de sida. «La mouvance écosexuelle des artistes Annie Sprinkle et Beth Stephens est un autre exemple de sensibilité queer aux relations à la nature, au non-humain, stimulant une conscience accrue des scandales environnementaux et des luttes antinucléaires». Émerveillé par ces modes d’existence prometteurs, maintenant un lien avec les communautés urbaines, Cy rentre pour participer à poser des jalons similaires en France.

Les engagements de ses membres sur d’autres fronts ont peu à peu essoufflé Panzy. Cy cherche de nouvelles formes de désobéissance civile, oscille entre les groupes LGBTIQ+ et des mouvements de lutte pour le désinvestissement des énergies fossiles. Il organise collectivement des pink blocs, ces tronçons queer jurant de rose pailleté au milieu des cortèges de l’écologie militante. Il se rapproche de franges plus alternatives et critiques comme la Pride de Nuit, frustré par trop de compromissions étatiques des alliances inter-LGBT.

«Le capitalisme à l’œuvre est la cause principale de la crise sociale et environnementale qui est la nôtre»

«Penser que la question de nos droits est séparable de la question du logement, de nos précarités et de notre rapport au travail est devenu progressivement impossible pour moi, le capitalisme à l’œuvre étant la cause principale de la crise sociale et environnementale qui est la nôtre». Ainsi, les écologies déviantes, comme le portent déjà les luttes décoloniales et écoféministes, supposent de travailler simultanément justice sociale et climatique, depuis les expériences minoritaires les plus impactées par les problématiques environnementales.

Nature, Contre-Nature
«Nos expériences en tant que minorités héritent de la manière dont le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme ont construit et usé des concepts de «Nature» et de «contre-nature» pendant des siècles pour nous asservir, nous exploiter et nous dominer». Ces déterminismes, Cy les identifie toujours à l’œuvre dans les attaques politiques de certain·e·s élu·e·s, ou encore les discours sur «l’écologie familiale» de la Manif pour Tous par rapport aux techniques reproductives comme la PMA ou la GPA. La crainte vient de ce que ces discours essentialisant – dont ne sont pas exempts les visions environnementalistes dominantes – reproduisent, dans la gravité et l’anxiété générées par l’urgence climatique, les injustices sociales sur les minorités.

«Dans un tel contexte de dissonance avec les élites et nos gouvernements, je crois que nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à développer de nouvelles formes de confrontations au pouvoir». Pour Cy, les écologies queer doivent aussi charger leur agenda d’interrogations «exigeantes mais pas insolubles» sur les effets de «pétrification» qui tiraillent nos pratiques personnelles et collectives devant les réalités écologiques. L’angoisse comme la colère ont toujours été un moteur immense pour lui. Les écologies queer cultivent cette même énergie, nouant des «complicités» nouvelles avec la jeunesse active pour le climat. De nombreux groupes queer en sont les témoins émergents: Extinction Rebellion Rainbow, Queers X Climate en Europe, ou encore Queer Nature depuis les cultures autochtones américaines.

La mémoire des luttes LGBTIQ+, face au sida par exemple, rappelle combien les rituels, les stratégies communautaires ont su rapprocher dans les crises. «Ces résiliences ont existé avant nous». Elles animent les combats tout comme l’écologie intime de Cy Lecerf Maulpoix, qui espère justement s’en nourrir pour militer avec plus de joie.

Pour aller plus loin: «Lectures croisées en écologie queer. Nature, contre-nature, contre-culture», Revue du crieur n°15, février 2020, Éd. Mediapart/La Découverte.
Queernature.org
@xrrainbowrebellion
queersXclimate.org
sexecology.org (A. Sprinkle & E. Stephens)