Une personne non binaire doit-elle être androgyne?
On attend souvent des personnes non binaires qu'elles affichent une apparence ni masculine, ni féminine. Une pression sociale, à maints égards paradoxale, que dénoncent bon nombre des interessé·e·x.
«Non binary people don’t owe you androgyny» («Les personnes non binaires ne vous doivent pas l’androgynie»). La phrase est belle comme un slogan partagé à l’envi sur les réseaux sociaux, comme un message imprimé sur un t-shirt. L’idée? Il y a ou aurait une pression, une injonction sociale à ce que les personnes non binaires adoptent une apparence androgyne, c’est-à-dire un physique où cohabiteraient éléments dits «féminins» et «masculins» jusqu’à se fondre, jusqu’à ce que la personne ne puisse visuellement plus être identifiée de manière binaire en terme de genre. Entretenir une apparence androgyne serait alors le prix à payer pour être reconnu·e·x et validé·e·x socialement dans son genre.
Lorsque l’on sonde les personnes concernées, ce n’est pas tout à fait faux. «Depuis que j’ai fait un coming-out enby*, les gens s’attendent à ce que je sois ‘neutre’ d’un point de vue vestimentaire ou cosmétique, voire dans mes attitudes – ce qui, je trouve, ne veux pas dire grand chose. On me dit souvent ‘Je croyais que tu étais non-binaire, tu es vachement fem quand même’. C’est épuisant» témoigne Alex, 28 ans. Valeri, 36 ans, abonde: «Je suis out pour très peu de monde, notamment parce que je crains le jugement qui ne me ‘validerait’ pas comme agenre à cause de mes robes. Pourtant j’aime en porter non pas pour me sentir ‘féminin·e’, mais parce que je me sens plus libre comme ça.» Flo Delval, activiste au sein de la communauté non binaire bruxelloise et créateur·x du podcast Non-binaires commente: «C’est sûr que lorsque l’on a une apparence disons ‘binaire’ les pronoms s’oublient vite, même parmi celleux qui connaissent ton identité de genre.»
«Sortir d’un genre bien défini fait bien souvent tomber dans la case ‘monstre’»
Alors, même si la plupart des personnes avec lesquelles j’ai échangé pour écrire cet article témoignent d’un goût pour le brouillage des pistes par le biais de leurs vêtements, de bijoux, de maquillage, voire de traitements hormonaux et de chirurgie d’affirmation de genre, cette injonction à l’androgynie est souvent mal vécue, jugée (op)pressante. D’autant que, comme le regrette Khalysta, 30 ans, «il y a également souvent une exigence de perfection qui va avec l’idée d’androgynie». C’est une source de complexes, sinon de dysphorie, témoigne-t-iel: «Quand on est gros·se·x comme moi, le fait de sortir d’un genre bien défini fait bien souvent tomber dans la case ‘monstre’. Si j’ai bénéficié d’une torsoplastie, je suis aussi obèse suite à deux grossesses et mon ventre assez proéminent. Certaines personnes jugent ma silhouette difforme. On me refuse cette étiquette d’androgyne, car l’androgyne est pensé comme ‘un homme mince qui a des traits féminins et qui a une certaine attractivité’». Flo Delval ajoute: «Essayer d’atteindre cette espèce d’idéal demande aussi du temps, de l’énergie et de l’argent. Or, beaucoup de personnes queer, précaires et·ou neurodivergentes n’ont pas tout cela.»
Lorsque cet objectif d’androgynie est atteint, ou à tout le moins lorsque la personne coche les différentes cases esthétiques et physiques de ce à quoi devrait ressembler une personne non binaire, est-ce vraiment la fin des difficultés? Vraisemblablement non, car cette androgynie attendue est aussi source de discrimination au sein d’une société très attachée au normes binaires du genre. Jo, créateur du compte Instagram @payetanonbinarite explique ainsi «Quand tu es dans cette androgynie, dans cet entre-deux, cela pose aussi problème. Les gens sont perturbés, ils ne savent pas comment s’adresser à toi, ils te dévisagent.» Quand on ne tombe pas carrément dans le registre de l’insulte et de l’injure. On se souvient ainsi de la violente salve de propos offensants qui a suivi le passage de Nemo à l’Eurovision. Autant de réactions qui témoignent encore aujourd’hui d’une incompréhension de la non-binarité parmi les personnes cis – et aussi parfois même au sein de la communauté queer – et d’une méconnaissance de toute la variété de personnes et de vécu qu’embrasse ce terme parapluie.
Face à tout cela, la tentation du repli communautaire est là. «Je crois qu’une manière de dépasser cette lourdeur de l’injonction, c’est d’être entouré de personnes non-binaires» expose Flo Delval. Aujourd’hui, nous avons collectivement besoin de davantage de représentation de personnes non-binaires dans les médias et les fictions pour saisir et intégrer la belle variété de celleux qui vivent en dehors d’une identité strictement féminine ou masculine quelle que soit leur apparence.
* pour «NB», non binaire