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Le retour en force de XULY.Bët

Le retour en force de XULY.Bët
Lamine Kouyaté est le créateur autodidacte de la marque XULY.Bët,
qui veut dire «Ouvre grand les yeux» en wolof, sa langue maternelle au Sénégal.

Laminé Kouyaté est le créateur autodidacte de la marque XULY.Bët, qui veut dire «Ouvre grand les yeux» en wolof, sa langue maternelle au Sénégal.

Ligne 7 du métro direction Mairie d’Ivry, station terminus. Riche d’une mixité fluide, le quartier est plein de vie. On y respire. On y flaire aussitôt la touche XULY. Bët, c’est exactement dans ce type d’arrondissement qu’on l’imagine. L’atelier du designer se situe dans un bâtiment à l’allure d’un shopping mall hanté mais sympa aux recoins un peu délabrés. Dès qu’on pousse la porte, la densité du lieu diffuse de bonnes ondes.

D’emblée, Lamine Kouyaté s’avère aussi chaleureux que sa mode est fabuleuse, bise et accolade. Comme sur les photos, il a le regard rieur et ses yeux brillent. Il porte une paire de sandales en plastique méduse noire à semelles blanches. Fièrement assis à sa machine, son couturier ivoirien Vamoussa accepte de poser pour une photo pendant que Djemila Khelfa fait son shopping. Célèbre DJ du Paris branché des années 80, ancienne directrice artistique du magazine culte Façade et accessoirement sœur de Farida Khelfa, muse de Jean Paul Gaultier et Azzedine Alaïa, elle rayonne en XULY.Bët.

Entre deux éclats de rire, les complices cherchent une épaulette noire volatilisée pendant les essayages. «Quand je porte une combinaison de lui, je me sens hyper bien et les femmes me demandent toujours d’où ça vient, ça les attire», déclare-t-elle en se délectant de l’effet XULY.Bët. Lamine prépare un café, demande qui veut une pomme et nous rejoint autour d’une petite table au milieu des portants blindés de ses pièces en Wax colorées.

Dian Ferrari en XULY.Bët face à l’objectif d’Anna Ledé.

Entre haute couture et bazar façon Tati
Paris la ville Lumière est surtout une ville de contrastes où le chic n’est jamais très loin de l’ultra-populaire. Capitale mondiale de la haute couture, elle a également vu naître Tati, le bazar du textile bon marché. «On a commencé entre les deux, situe Lamine en riant. J’avais la volonté de m’insérer dans une culture populaire, car la mode a aussi un attrait pour ça, c’est très parisien. C’était une sorte de fougue. Chez Tati, on retrouvait toutes les classes sociales. J’adorais ça!»

Depuis ses débuts en 1991, la marque navigue loin du snobisme et des prix obscènes des grandes enseignes de la capitale. Plus discret en Europe après quelques années d’exil à New York, XULY.Bët revient aujourd’hui en force. Totalement en phase avec les préoccupations actuelles pour une mode responsable selon des critères écologiques et de diversité, cet autodidacte de 56 ans ne fait que continuer ce qu’il a toujours fait sur les principes d’une mode utile. Il recycle les chemises blanches qu’il trouve dans des fripes et les matières de sport non-biodégradables qu’il utilise pour des pièces uniques.

Photo: Anna Ledé

Au commencement
En wolof, sa langue maternelle au Sénégal, XULY.Bët signifie «Ouvre grand les yeux» et se prononce «Rouli beute» en roulant le «r». «C’est une expression pleine de sens qui invite à regarder au-delà des apparences souvent trompeuses», explique-t-il. Lamine grandit entre le Mali et le Sénégal où il fréquente l’école française. Après ses études d’architecture en France, la mode s’impose comme une révélation: «J’ai aimé cette approche instantanée qui n’existe pas dans l’architecture, tributaire des institutions. Et puis, le vêtement est aussi un espace que l’on crée».

Photo: Anna Ledé

Il est fasciné par les créations d’Azzedine Alaïa, mais le vrai déclic vient d’ailleurs. «J’ai découvert la mode par Saint Laurent, se souvient-il. C’était un des premiers à valoriser l’image des femmes, noires aussi. Il leur donnait cette force féroce. J’ai toujours voulu m’affranchir de l’arrogance du luxe pour butiner dans les jardins sauvages et tester l’harmonie de la périphérie».

«Ne jamais perdre la folie, l’étincelle»
Nomade et sociale, sa mode prend forme dans le vrai des choses. Chez lui, tout fonctionne au coup de cœur, on s’attache à ses pièces. Peu importe les saisons, elles sont intemporelles, voire éternelles. «Certain·e·s client·e·s renoncent à porter des vêtements qu’ils estiment faire partie de leur jeunesse, observe-t-il. Je leur dis de ne jamais perdre la folie, l’étincelle. Cette lumière, c’est ça qui nous tient!» La mode, Lamine ne l’aborde pas non plus en termes de genres, chacun·e porte ce qui lui plait: «Il existe une frontière artificielle créée par les gens pour empêcher l’accès à certaines tribus. Nous, on veut exploser les murs et se retrouver tous ensemble. Il n’y a aucune raison d’être ostracisé·e parce que t’es Noir·e, t’es Bleu·e, t’es homosexuel·le ou transgenre. Je ne vois pas de limite entre les gens. Le fil rouge, c’est ce lien du sang qui nous unit tou·te·s.»

Les épreuves de la vie sont symbolisées dans ses créations par ses coutures rouges apparentes surpiquées, comme autant de cicatrices belles et formées. «Très jeune, j’observais de loin la tribu des branchés parisiens, ils n’avaient pas de frontière. Les problématiques identitaires que l’on se pose aujourd’hui, eux les avaient transcendée.» Très présent dans ses collections, il ne voit pas le Wax comme une réappropriation culturelle, bien au contraire. La modernité de ses coupes s’apparente plus au sportswear qu’à un vêtement traditionnel: «A la base on fait du Wax parce qu’on habille des Africain·e·s, mais j’ai des ami·e·s européen.ne.s à qui ça va très bien! Il faut éviter les réflexes clivants. Je fais surtout des vêtements que l’on peut porter au quotidien». De Rossy De Palma à Cardi B, elles craquent toutes pour XULY.Bët. Récemment approché par le styliste de Madonna pour créer 85 caftans dans le cadre de sa tournée Madame X, il s’est vu contraint de décliner l’offre, faute de budget.

Paris-New York-Paris
A Paris, il comprend à ses dépens qu’à se frotter à la marge, on se confronte vite au conservatisme et aux chasses gardées, qui finissent par tout récupérer. «Malgré tout ce que nous avons brassé et conquis en France, on a peu appris des autres. Au-delà de la prédation, il n’y a pas grand-chose». Un peu éteint, il décide de quitter la capitale: «J’avais besoin de reprendre confiance, alors j’ai choisi New York. J’adore cette ville pour l’écho formidable de mes vêtements auprès des gens qui les portent. J’ai défilé là-bas en 2015, 2016, 2017 et 2018.» Un exil nécessaire pour un retour aux sources. C’est à New York que Lamine réalise à quel point XULY.Bët est une marque parisienne. «On est venu récupérer notre place», dit-il sereinement.

Quand il ne travaille pas, ce père de famille voyage et circule à vélo dans Paris, un moyen de transport qui lui convient parfaitement et lui permet de scruter les silhouettes dans la rue de la tête aux pieds. Il va aussi écouter des concerts: «Je suis allé voir récemment Les Indes Galantes, cet opéra baroque de Rameau avec des danseurs hip-hop, c’était génial.» En quête de ces instants magiques, XULY.Bët s’en nourrit pour les insuffler ensuite dans les créations XULY. Bët, tout autant magique.

» XULY.Bët in Geneva, du 12 au 15 décembre L’Almacén, rue des Grottes 6, Genève L’occasion de (re)découvrir les créations de la marque dans une ambiance propice aux rencontres et un line-up placé sous le signe de la diversité et du flux d’expression