Bars & Clubs

36 gr.

Genève, ven 26 avril, 23:00
Agenda
#Danse

Le cerveau mou de l’existence

Lausanne, mar 16 avril - dim 21 avril
Culture
#Musique

Rodrigo Cuevas

Cully, sam 6 avril, 19:30

Docteur Eurovision

Paul Jordan, spécialiste du concours de la chanson européen pour la BBC, évoque l'étrange passion des gays pour l'événement télévisuel qui démarre ce mardi.

Paul Jordan, plus connu sous le nom de Dr Eurovision, commente chaque année le grand concours européen de la chanson pour la BBC. Docteur en sciences politiques, il a consacré sa thèse à la façon dont l’Eurovision, très apprécié dans la communauté LGBT, a contribué à modeler l’image de marque de l’Estonie et de l’Ukraine, qui accueillera la prochaine édition, du 9 au 13 mai, à Kiev.

– D’où vous vient cette passion pour l’Eurovision?
Paul Jordan – Je le regarde à la télé depuis que je suis tout petit. Je me suis rendu sur place pour la première fois à l’âge de 16 ans. Je venais d’annoncer mon homosexualité à ma mère. C’était une période de grands bouleversements dans ma vie personnelle et j’ai d’une certaine façon associé les deux dans mon esprit.

– Au point d’en faire votre sujet de thèse…
– C’est en fait mon tuteur qui m’a soumis l’idée et je n’aurais jamais pensé qu’elle puisse être retenue. Les gens se mettaient à rire lorsque j’allais à des conférences et que je commençais à parler de l’Eurovision. Les autres doctorants en sciences politiques choisissent généralement des sujets très sérieux, comme les droits de l’homme en Russie ou la Santé en Azerbaïdjan. Mais j’ai eu le dernier mot: le mien a davantage fait parler dans les médias et j’ai fini par en faire mon métier.

C’est sans doute le seul événement où il faut faire son coming-out quand on est hétéro.

– Pourquoi l’Eurovision plaît-il tant aux gays?
– C’est difficile à expliquer. Je ne sais pas si c’est le strass, les costumes, le glamour. Je connais aussi beaucoup de gays qui aiment Miss Monde, pas vraiment pour regarder de belles femmes, mais pour ce côté glamour. Ceci dit, de nombreux pays, comme la Russie, ne font pas forcément de l’Eurovision un événement gay-friendly. C’est le cas également de l’Ukraine. La première fois que je suis allé là-bas, en 2005, l’Euro Club, où se réunissent toutes les délégations, les médias et les fans, était rempli de femmes ukrainiennes toutes seules. Elles espéraient rencontrer des hommes occidentaux, mais elles ont réalisé au bout du deuxième jour que ces derniers étaient surtout attirés les uns par les autres. C’est sans doute le seul événement où il faut faire son coming-out quand on est hétéro. C’est assez drôle pour une fois de voir les rôles inversés.

– Quelle est justement l’ambiance en marge du concours?
– Absolument électrique! Vous avez des gens du monde entier, tous déchaînés, déguisés, agitant des drapeaux. Même ceux qui n’aiment pas l’Eurovision changeraient d’avis en allant sur place. J’imagine que c’est un peu la même chose que d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ou de la Coupe du monde de football. Certains y vont tous les ans, parfois depuis très longtemps. Des amitiés se nouent. Je connais un couple qui s’est marié après s’être rencontré à l’Eurovision. Il y a un sens de la communauté, c’est une grande famille. Des pays comme la Russie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan ou la Roumanie peuvent entretenir des relations difficiles, mais tout le monde met ses différences de côté et se rassemble pour le concours. La politique passe au second plan l’espace d’une soirée.

Paul Jordan avec les jumeaux Jedward, qui défendaient les couleurs de l'Irlande à Bakou, en 2012.
Paul Jordan avec les jumeaux Jedward, qui défendaient les couleurs de l’Irlande à Bakou, en 2012.

– L’Eurovision est tout de même régulièrement utilisé comme une tribune politique…
– C’est avant tout une émission de télé, mais c’est vrai que l’Eurovision a parfois servi de tribune. Il est révélateur des débats de l’époque. La victoire de Dana International (une transsexuelle israélienne, en 1998) a fait beaucoup pour les gays en Israël, même si le baiser furtif de deux Israéliens, sur scène, a fait polémique deux ans plus tard. Ce ne serait plus forcément le cas aujourd’hui. Beaucoup de gays se rendent sur place et partagent leurs inquiétudes quant à la situation de la communauté LGBT dans certains pays. Des drapeaux arc-en-ciel ont été brandis devant les caméras au moment précis où le candidat russe entrait en scène en 2015. C’était clairement un message à l’intention du gouvernement russe.

– L’Ukraine, en froid avec la Russie, accueille la prochaine édition de l’Eurovision. À quoi peut-on s’attendre?
– Il faut rappeler, c’était le sujet de ma thèse, que l’Eurovision a eu un impact important en Ukraine en matière de politique extérieure. Afin de faciliter l’organisation du concours, en 2005, alors qu’il sortait tout juste d’une révolution, le pays a par exemple levé l’obligation pour les citoyens de l’Union Européenne d’avoir un visa pour y entrer. C’est toujours en vigueur aujourd’hui. Je me souviens avoir fait trente minutes de taxi à l’époque pour aller dans une boîte gay secrète. J’ai été fouillé à l’entrée, le service de sécurité était imposant. Il y avait quelque chose d’excitant à faire quelque chose qu’on ne devait peut-être pas faire, un peu comme j’étais nerveux, plus jeune, d’aller dans un bar gay au Royaume-Uni. Il faut le comprendre, l’Ukraine a traversé tellement de difficultés que les droits LGBT ne sont pas forcément une priorité politique. C’est une bonne chose finalement d’en faire l’expérience et de se rappeler que les choses ne sont pas toujours aussi simples ailleurs.

» dreurovision.com

One thought on “Docteur Eurovision

  1. Dire que les droits des gays en Ukraine ne sont « pas une priorité politique », c’est un euphémisme que je trouve choquant et même malhonnête.
    Dire que les rivalités politiques sont mises de côté est faux également, puisque les votes sont justement attribués selon des critères qui concernent assez peu la musique…

Comments are closed.