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De quoi la sissy bounce est-elle le nom?

À la Nouvelle-orléans, la bounce, dérivé local du rap, est aux mains d’une poignée d’artistes queer. on appelle ça la «Sissy Bounce», même si l’étiquette gratte parfois.

Un joint de cannabis pendouille au bout de sa French Manucure. En talons aiguilles de 12cm, crinière synthétique rousse, micro-robe à paillettes et faux-cils assortis, Katey Red se repose, assise sur un retour. Branchée en boucle sur la même punchline, elle orchestre d’une main lasse, quoi qu’efficace, les démonstrations de son crew de danseurs. «Shake it, shake it, shake it! Work it work it work it!» Sur scène et dans le public, une armada de fesses voltigent sur des beats syncopés.

C’est le miracle de la bounce, cette musique qui porte aussi le nom des danses qui l’accompagnent, et qu’on appelle ailleurs le «twerk». Née à la Nouvelle Orléans au début des années 1990, cette cousine délurée du rap est sortie du périmètre local et underground où elle s’était nichée pendant plus de vingt ans. Aujourd’hui, les tutoriels de bounce pullulent sur YouTube. On l’enseigne dans les écoles de danse et on l’ausculte dans les cénacles féministes. Elle infiltre la culture mainstream: Diplo, Nicki Minaj ou Snoop Dogg se sont amourachés de son tempo urgent, de ses lyrics salaces et de ses sursauts chaloupés.

Le courage de s’assumer
À la Nouvelle-Orléans, cette musique festive compte aujourd’hui parmi ses principaux ambassadeurs une majorité d’artistes queer. Tous font allégeance à Katey Red: en 1998, à peine agée de 18 ans, elle était le premier rappeur transsexuel à se produire dans une block party de sa cité de Melpomene. Si la Nouvelle-Orléans est connue pour son goût du grimage et ses mœurs permissives, la bounce n’échappe pas aux préjugés homophobes du rap: «Katey Red s’est lancée bien avant l’arrivée d’un Mikky Blanco ou de Frank Ocean. À cette époque, il fallait avoir du courage pour assumer d’être un rappeur ouvertement gay.» Eldon Anderson sait de quoi il parle. Directeur de Take Fo’ records, label de hip-hop indépendant de la Nouvelle-Orléans, c’est lui qui signe le premier Katey Red. «Melpomene Block Party», son premier album, sort en 1999. Il fait encore autorité dans la discographie de l’histoire de la bounce.

Depuis, Katey Red a fait des émules. Big Freedia, Sissy Nobby (et son tube «Confidences»), Vockah Redu, Nicky da B. ou BJ So Cole se sont engouffrés derrière elle dans ce qu’on appelle aujourd’hui la «sissy bounce», en référence à une orientation sexuelle assumée. À la Nouvelle-Orléans, l’étiquette divise, à commencer par Katey Red: «Pourquoi faut-il nous cataloguer ? Nous sommes des rappeurs comme les autres. La seule différence, c’est qu’on parle plus de bites que de chattes.» La journaliste Alison Fensterstock suit la bounce depuis son arrivée à la Nouvelle-Orléans en 1996: «Le rap est un milieu très macho au sein duquel la «sissy bounce» a toujours fait débat. Des rappeurs comme Partners-N-Crime ont presque arrêté la bounce pour ne pas être assimilés à cette scène. Pourtant, c’est grâce à Big Freedia que cette musique s’est faite connaître en dehors de la Nouvelle-Orléans.» Ancien choriste et danseur de Katey Red, Big Freedia Queen Diva sort son premier album en 2003. Mais c’est en 2005, quelques mois après le passage de l’ouragan Katrina, qu’il s’impose dans la bounce: «L’évacuation de la ville a dispersé tous les artistes à Houston, Dallas ou Atlanta. Certains ont mis plusieurs années avant de pouvoir revenir. Mais Freedia est rentré aussitôt qu’il a pu et il a travaillé très dur pour pouvoir se produire plusieurs fois par semaine. Pour les victimes de la catastrophe, la bounce était un exutoire puissant, salutaire.»

Exit le public testostéroné
Contrairement à Katey Red, professeure de twirling-bâton, «gay mother» de plusieurs enfants et très investie dans la communauté LGBT, Big Freedia se définit «simplement comme un homme gay, pas transsexuel». C’est pourtant sur le créneau du rap queer qu’il construit son empire. Depuis 2013, son émission de télé- réalité «Big Freedia: Queen of Bounce» cartonne sur Fuse TV. Son autobiographie, God Save the Queen Diva, vient de paraître aux Etats-Unis et sa dernière tournée estivale passait par Paris, où il était tête d’affiche de Loud & Proud, le premier festival français dédié aux cultures et aux musiques queer. «C’est un combat trop difficile pour être une opportunité commerciale, mais c’est une alternative intéressante aux obsessions du rap hétéro», estime Rusty Lazer, son ancien manager. Ce qui explique pour partie le succès de cette scène. Exit le public testostéroné des chantres du gangsta rap. Les rappeurs gays de la Nouvelle-Orléans sont plus portés sur la chronique de leur vie quotidienne et de leurs amours contrariées que sur l’apologie du gun et de la biatch. À la fois virils et sécurisants, ils offrent aux danseuses de bounce – sans qui cette musique ne vaut rien – un cadre pacifié, un lieu où les culs peuvent jongler sans entraves.