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Être LGBTIQ+ en prison: le retour au placard 

Être LGBTIQ+ en prison: le retour au placard 
Photo Pixabay/jodylehigh

Quelle est la réalité des personnes LGBTQ+ dans les centres de détention suisses? Des réponses avec une ancienne détenue et des expert·e·s du monde carcéral.

En juin 2021, le Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP) publiait un document cadre concernant la prise en charge des personnes LGBTIQ+ en prison. Pourquoi ce document est-il important? Quelle est la réalité sur le terrain? Une série d’entretiens avec une ancienne détenue et des expert·e·s du domaine nous permet d’en savoir plus.

«Avec pas loin de 100 établissements sur le sol suisse, la prison est une mosaïque», explique Jean-Sébastien Blanc, collaborateur scientifique et co-auteur d’un document cadre. Les caractéristiques des prisons sont effectivement diverses. Certaines sont pour hommes, d’autres pour femmes. Elles peuvent être dotées, ou non, de parloirs intimes*. La formation et la sensibilité des agent·e·x·s de détention peuvent aussi différer d’une prison à l’autre. Tous ces éléments influencent le séjour des détenu·e·x·s LGBTIQ+.
 
Double invisibilité
En prison comme en dehors, l’homo- et la transphobie peuvent toucher toute personne ne correspondant pas aux normes de féminité ou de masculinité et donc «suspectée» d’être LGBTIQ+.  C’est pourquoi les personnes de cette communauté sont, selon Jean-Sebastien Blanc, «doublement invisibilisées». Invisibilisées en tant que détenu·es mis au ban de la société et en tant que personnes LGBTIQ+ en prison. 

Propos dégradants lors de l’interpellation, humiliations lors des fouilles, insultes sur les portes des cellules, jeux de rôles homophobes, mise à l’écart, viols… La prison constitue un monde où la violence peut être multiple et où la dénonciation peut exposer à des représailles de la part des co-détenu·es. Ludivine, ancienne détenue lesbienne incarcérée en France il y a plus de dix ans, se souvient: «Le quotidien était tellement dur que la plupart des détenues étaient sous cachetons. J’ai pris plus de 10 kilos en quelques mois. Je ne sentais plus mon corps.»

Concernant les personnes LGBTIQ+, Jean-Sébastien Blanc précise: «Les hommes gay détenus et les femmes trans* en prison peuvent être la cible de d’agressions, que ce soit lors de l’arrestation ou lors du quotidien en détention. Ces événements s’inscrivent souvent dans une continuité de violences dont les personnes LGBTIQ+ sont victimes avant la détention.»

La norme de féminité s’inscrit, comme à l’extérieur de la prison, dans un double standard: elle ne doit être ni trop sexuelle, ni pas assez.

Natacha Chetcuti-Osorovitz, maître de conférences en sociologie en France, publiait en mai 2021 le livre Femmes en prison et violences de genre – Résistances à perpétuité.  Elle complète le propos de Jean-Sébastien Blanc: «La norme de féminité s’inscrit, comme à l’extérieur de la prison, dans un double standard: elle ne doit être ni trop sexuelle, ni pas assez. La seule féminité acceptée est une féminité discrète. Le positionnement en tant que lesbienne masculine déroge à ce standard. La personne concernée peut être victime de formes de délation, voire de violences lesbophobes.»

De par leur existence, les personnes trans*, quant à elles, questionnent le système binaire des prisons: «La plupart des hommes trans* sont placés, pour des raisons de sécurité, dans des prisons de femmes où ils sont souvent considérés, par défaut et par déni, comme des lesbiennes», explique Jean-Sébastien Blanc.
 
Des sexualités taboues ou normées
Si la mise à disposition du matériel de prévention est régie par la loi, les sexualités entre hommes en prison semblent cependant encore faire l’objet d’une omerta. Loïc, ancien infirmier dans une prison préventive pour hommes, indique: «La question de la sexualité reste taboue, on en parle notamment avec les prisonniers lors du check-up à l’entrée. Le fait que certains détenus soient incarcérés pour des délits sexuels peut complexifier la façon d’aborder ces questions.» Malgré la garantie de la confidentialité, les détenus n’ont pas confiance dans le personnel de santé car la plupart d’entre eux ne connaissent pas le monde médical. Si chaque détenu reçoit un kit d’entrée comprenant des préservatifs, Loïc précise que «la plupart des détenus les rendent pour ne pas avoir de remarques des codétenus».

La question du plaisir (sexuel) ne pouvait être abordée car les détenues étaient en prison pour être punies

Ludivine* se rappelle que, lors de son incarcération, la question du plaisir (sexuel) ne pouvait être abordée car les détenues étaient en prison pour être punies. Jennifer*, ancienne agente de détention, rapporte de son côté: «Dans la prison de femmes où j’ai travaillé, un couple de femme a pu partager la même cellule».

Natacha Chetcuti-Osorovitz explique que la découverte des sexualités entre femmes peut être, pour certaines détenues, «une émancipation vécue positivement». Cela étant, le couple lesbien doit reproduire la norme binaire hétérosexuelle avec une partenaire «masculine» et une partenaire «féminine» pour ne pas être la cible de discriminations.

En raison de la difficulté à trouver des personnes pouvant témoigner, il est compliqué de dresser un aperçu des sexualités des personnes trans* en prison. Erika Volkmar, directrice de la Fondation Agnodice rapporte: «Les femmes trans* qui ont des organes génitaux reconnus comme «masculins»  peuvent se retrouver placées dans une prison pour hommes.» Elles sont alors confrontées au risque d’être agressées sexuellement ou de devoir accepter d’avoir des relations sexuelles avec un détenu pour bénéficier de sa protection. Pour éviter ces mises en danger, les agent·e·x·s de sécurité peuvent décider de placer la détenue en isolement, mais cette solution ne devrait être que provisoire car elle constitue, à long terme, une forme de torture psychologique.

Dans l’ensemble, la situation est cependant, selon Jean-Sébastien Blanc, «en cours d’évolution. Le personnel est progressivement formé à réagir face aux violences envers les détenu·es LGBTIQ+ et à respecter l’autodétermination de ces dernier·ère·x·s».
 
Les recommandations du CSCSP, un premier pas
Être une personne LGBTIQ+ en prison constitue une situation de vulnérabilité méconnue. C’est la raison pour laquelle les recommandations du document cadre du CSCSP (respect, autodétermination, droit de visite, sensibilisation et formation du personnel, etc.) s’adressant aux acteur·e·x·s du terrain peuvent contribuer à améliorer considérablement la situation pour les personnes LGBTQ+. Il incombe aux directeur·rice·s ainsi qu’aux autres autorités responsables de le mettre en œuvre et de l’adapter aux spécificités des établissements. Et il reviendra au CSCSP de s’assurer, à travers un monitoring, de sa mise en application. Les associations communautaires peuvent aussi jouer un rôle important et contribuer aux changements des mentalités dans les prisons. Pour ce faire, elles doivent se faire connaître auprès des établissements et des détenu·es afin afin que les uns ou les autre·x·s puissent solliciter leur visite.

Des prénoms d’emprunt ont été utilisés pour les détenu·e·x·s et le personnel de détention cité·e·x·s dans cet article.

En savoir plus :
– Article dans la revue en ligne Reiso www.reiso.org (dont bibliographie)
– Document cadre CSCSP à consulter sur le site www.skjv.ch
– Natacha Chetcuti-Osorovitz, Femmes en prison et violences de genre – Résistances à perpétuité, Editions La Dispute (2021)