«On va donner à voir notre monde»
Lugano célébrera la fierté LGBT du 28 mai au 3 juin: une première, à laquelle toute la Suisse est invitée, et que les Tessinois·e·s attendent avec impatience.
«Il n’y a aucune peur à avoir. Que les bigots et les bien-pensants dorment tranquilles!», a rigolé Roberto Badaracco, municipal luganais, lors de la conférence de presse qui présentait la première Pride de la Suisse italienne. Attendu depuis longtemps (un projet avait tourné court au début des années 2000), l’événement arrive enfin dans une région perçue comme conservatrice et peu ouverte à la diversité.
Personne n’a oublié le «non» tessinois à la loi sur le partenariat enregistré, à peine moins cinglant que celui des Valaisans. Treize ans plus tard, pourtant, peu de voix se sont élevées pour critiquer la manifestation. Les municipalités approchées initialement par les organisateurs s’étaient même montrées séduites par l’idée d’avoir enfin leur Pride… «comme les grandes villes». Evidemment il y a eu des couacs. En mars 2017, par exemple, des élus PDC de Lugano avaient fustigé un «événement étranger à nos traditions», s’inquiétant d’un impact négatif sur le tourisme.
Enclavé
A mi-chemin entre les scènes gay de Milan et de Zurich, le canton de 350 000 habitants garde un caractère enclavé. Dans les petites villes ou les vallées, le sentiment d’isolement est encore très présent. «Si quelqu’un ressent de la solitude, il n’a pas d’endroit où aller ni de point de chute. Ce serait un but de développer quelque chose», remarque Patrick Perret-Gentil, à la tête du Gothicsauna, unique lieu estampillé gay du Tessin. Le Neuchâtelois de 51 ans, arrivé dans la région il y a trente ans, est aussi le représentant local de Network, une des chevilles ouvrières de cette Pride 2018.
«Le fait de vivre dans un des cantons les plus conservateurs de Suisse augmente encore la peur de se dévoiler, puisqu’on ne parle jamais de questions homosexuelles ou trans* à l’école, à la maison ou au travail», constate Delia. A 19 ans, la jeune Tessinoise décrit son expérience en tant que lesbienne comme le fait d’avoir des «regards constamment portés sur soi et s’exposer à des commentaires inappropriés», par exemple si elle marche main dans la main avec son amie: «Je ne fais plus vraiment attention, mais je me rends compte que pour une personne sur le point d’entrer dans le monde LGBT, cela peut effrayer.»
Nouvelle génération
Le manque d’information et de dialogue pèse notamment sur les personnes trans*. «Ici c’est difficile d’initier une transition. Il y a peu d’information, et de nombreux jeunes trans* ne savent pas où se tourner. Même mon médecin de famille ne savait pas non plus où me diriger», raconte Kevin, 25 ans. Et pourtant, les mentalités changent, surtout avec l’arrivée d’une nouvelle génération. Les milieux associatifs bougent, notamment sous l’égide d’Imbarco Immediato, organisateur de soirées régulières et d’un récent festival du film LGBT, et de Zonaprotetta, arcade de l’Aide tessinoise contre le sida, qui prend en charge, au-delà des questions de santé sexuelle, les problématiques liées à la discrimination, à l’acceptation de soi ou à l’éducation.
Cette semaine de la Pride – et singulièrement le grand défilé du 2 juin – ne sera pas seulement un rassemblement pour la communauté LGBT. «Cette Pride va offrir l’occasion à toute la population d’interagir. Donner de la visibilité à notre monde, qui existe même si on n’en parle pas ou qu’on ne veut pas en parler. Prendre acte de manière sereine et juste, cela profite à tous», se réjouit Delia. «Ce sera une première, on tâte le terrain, avance Patrick. Et à mon avis on n’est pas au bout de nos surprises…»
La Pride 2018 – Lugano
Politique Les organisateurs ont fait l’impasse sur le sempiternel slogan officiel, mais les préoccupations restent: discriminations, égalité, soutien aux minorités à travers le monde. Le conseiller fédéral Ignazio Cassis, qui prendra la parole samedi, saura-t-il y répondre?
Artistique Les organisateurs ont multiplié les collaborations avec des institutions culturelles pour proposer, dès le lundi, un programme ambitieux : théâtre, danse, arts visuels ou cinéma. Le plus original : la Poetry Pride, jeudi, mettra en scène les textes célébrant l’amour dans la diversité.
Exotique Quitte à faire le voyage, autant passer quelques jours à la découverte d’une superbe région. Le site pride2018.ch propose d’avantageux forfaits séjour à Lugano – y compris des arrangements famille – avec abos de transports et entrée à la soirée du samedi, entre autres.
Frénétique Le cœur de la Pride battra dès le vendredi soir au Campo Marzio, à deux pas du lac, avec ses stands et sa scène, où se succéderont spectacles et DJs. Samedi soir, l’affiche comprendra les stars locales Sinplus.
Historique La première marche des fiertés de Suisse italienne, ça ne se rate pas. Départ samedi, 16h, de la Piazza Luini. Pas de semi-remorques, ni de tracteurs pétaradant sur le parcours: on paradera à pied. Peu importe, pourvu qu’il y ait des rencontres, des slogans et de l’émotion…
» Plus d’infos sur: pride2018.ch