Vieuxxx et sexxxy, les daddies érigés en icônes
L'âge mur n'est plus un désert sexuel. Il est même, à en croire le succès des «daddies», une denrée très recherchée sur le marché du porno gai. À la grande surprise des principaux intéressés.
Pathétiques, ces fesses qui pendouillent, ces poils gris qui poussent sur le dos, ce gras qui déborde des ceintures… pouah! «Allez vous cacher, les vieux!» lancions-nous à nos aînés dans les bars et saunas gais des années 1980-1990. On avait 20 ans et on se jurait de ne pas être pareil une fois arrivés au lointain âge mûr. Or, nous y voilà, nous autres boomers, à l’âge fatidique d’aller se cacher, de faire une croix sur notre vie sexuelle… mais surprise: notre Grindr continue de crépiter sur la table de chevet, entre la tasse de verveine et la brochure de sudokus.
Oui, les 50+ bandent encore. Plus étonnant, ils font encore bander. Magie du Viagra? Même pas! En fait, le mâle vieillissant est tout simplement devenu désirable, hot, sex. On peut le mesurer sur le marché du porno, creuset des fantasmes de la communauté. Les têtes grisonnantes sont de plus présentes au casting des vidéos mainstream. Ces dernières années, Pornhub classe «Daddy» entre la 3e et 4e place des catégories les plus courues dans sa section gaie.
Daddysphère
Avec ses studios et ses stars – Allen Silver, 61 ans, Dale Savage, 58 ans, ou Adam Russo, 55 ans, tous apparus sur la scène du X dans leur quarantaine bien sonnée – on a affaire à une vraie daddysphère. Le sexe intergénérationnel en est un des ressorts principaux, avec des channels à succès telles que Gaycest (avec des scénarios trop ridicules pour flirter avec le Code pénal) ou Masonic Boys (initiations très spéciales chez les mormons). Mais le studio joue aussi sur l’inversion des rôles, comme dans Twink Top, où des coaches sportifs vétérans se font rudoyer par de frêles (mais vigoureux) espoirs du baseball.
Analysant les textes accompagnant ce type de vidéos, le chercheur en pornographie gaie John Mercer note que, loin d’être un domaine marginal destiné aux vieillards lubriques, le sous-genre «daddies» s’adresse aux lubriques de tous les âges (dès lors qu’ils sont majeurs bien sûr), invités à s’identifier tantôt au jeune tantôt au vieux, lequel n’est pas limité au rôle de faire-valoir ni à celui d’étalon actif. Mais il note aussi l’existence d’un érotisme interclasse et interracial entre hommes mûrs, voire très mûrs, comme chez Pantheon Films. Des productions assez fauchées, mais joyeusement «égalitaristes», salue le chercheur.
L’âge d’or oublié des daddies
Reste que tous les corps mûrs n’ont pas leur place sur le piédestal du sexe. Le succès des daddies repose largement sur leur hypervirilité. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté si l’on fouille dans les VHS et pellicules du siècle passé. On découvre un autre âge d’or du Daddy avec la trilogie culte Working Men (1976-1979) du formidable réalisateur Joe Gage ou les colosses turgescents du magazine Colt, à feuilleter en fredonnant Macho Man des Village People. Curieusement, ces physiques se sont éclipsés au cours des décennies 80 et 90 au profit de corps plus aseptisés. En pleine pandémie de sida comme par hasard.
Derrière cette (ré)émergence du daddy comme sex-symbol, il y a donc une affaire générationnelle: celle du vieillissement d’une génération qui a grandi après l’hécatombe du sida, la première jouissant de droits LGBTIQ+ (du moins en Occident). Il y a aussi une révolution technologique, celle du web, qui a fait du porno un marché dérégulé, mondialisé, ubérisé et complètement éclaté. «En conséquence, la domination de types iconographiques et de normes de représentations peut être remise en cause», écrit Mercer. De même que les adeptes de la fessée ou de la chaussette odorante ont leurs chapelles et leurs icônes sur la Toile, les bears, silver studs et autres «vieux» ont aussi leurs sanctuaires sous forme de blogs dédiés, de comptes Twitter ou de sexcams à péage. Un jour viendra où chaque daddy ouvrira un compte OnlyFans pour compléter son AVS.
Bref, c’est un privilège d’être un daddy en 2022, comme le confie l’auteur, activiste et ex-acteur Conner Habib, cité par The Cut. «Si l’on entend de plus en plus parler des daddies, c’est parce que de plus en plus d’hommes gais se permettent d’être attirés par des types de gens différents. Plutôt qu’une expérience uniforme de la beauté, les gens veulent une expérience personnalisée. Et quoi de plus personnel qu’un daddy?»