Hanky code: Quand les gays annonçaient la couleur
Dans les années 1970, des décennies avant l’apparition de sites de rencontres, des américains ont trouvé le moyen d’afficher leurs préférences en toute discrétion.
«Are you a left ? Or are you right ? Or are you switching. Just for tonight ? I don’t even know all the codes. But baby you better find out before you go», chante Peaches sur l’album «Impeach My Bush»: «Es-tu de gauche ? Ou de droite ? Ou bien changes-tu rien que pour une nuit ? Je ne connais pas tous les codes, mais bébé, tu ferais mieux de trouver avant de partir». L’artiste queer canadienne exilée à Berlin rend hommage au hanky code sur le morceau du même nom, ce code des bandanas utilisé par les gays américains pour connaître en un battement de cil les préférences sexuelles de leurs partenaires potentiels.
Gagner du temps, déjà…
Tout est parti d’une plaisanterie: à l’orée des années 1970, un journaliste de l’hebdomadaire new-yorkais «The Village Voice» fait la remarque que cela serait beaucoup plus efficace si les gays utilisaient des carrés de tissu colorés pour indiquer leurs préférences sexuelles plutôt que de se borner, comme il était alors d’usage, à indiquer uniquement s’ils étaient actifs ou passifs en glissant leurs clefs dans la poche arrière gauche ou la poche arrière droite de leur jean. Sa blague a été prise très au sérieux par la communauté gay de l’époque, qui s’est inspirée de cette idée en élaborant un code de couleurs reflétant très précisément les pratiques sexuelles recherchées par ceux qui les portent. En annonçant d’emblée la couleur, on s’épargne ainsi déconvenue ou déception, et on gagne surtout beaucoup de temps, exactement comme sur Grindr ou PlanetRomeo de nos jours, où les utilisateurs sont invités à lister leurs préférences concernant le physique de leurs partenaires potentiels et en matière de pratiques sexuelles.
Le bandana, ce petit foulard imprimé disponible dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, qu’on peut facilement glisser dans une poche, et associé dans l’imaginaire collectif à la figure du cow-boy, un archétype de la virilité, correspondait parfaitement aux besoins du «handkerchief code», qui signifie littéralement «code des mouchoirs en tissu», et qui fut rapidement surnommé «hanky code». On trouve sur internet de nombreux nuanciers qui déchiffrent ce langage codé couleur par couleur, et à chaque fois en fonction du côté duquel est porté le bandana. Il existe au moins une soixantaine de messages codés.
Gauche ou droite
Un bandana de couleur bleu marine glissé dans la poche arrière gauche du pantalon indique par exemple que celui qui le porte est actif, tandis que s’il est porté à droite cela indique que son propriétaire est passif. Même principe pour indiquer si un amateur de BDSM est dominateur ou soumis, selon que le bandana, gris dans ce cas, est placé à gauche ou à droite. Un carré de tissu avec un imprimé léopard indique que son propriétaire aime les tatouages quand il est porté à droite, et qu’il en a lui-même si il le porte à gauche. Un foulard couleur lavande glissé dans la poche gauche révèle lui une attirance pour les drag queens.
Le «hanky code» est très subtil, c’est un véritable art de la nuance qui ne saurait tolérer aucune défaillance de nature oculaire. Une mauvaise interprétation, et l’aventure peut virer au cauchemar. Exemple: un bandana rouge au motif imprimé en noir porté à droite annonce que celui qui l’arbore cherche un «bear», tandis qu’un bandana de la même couleur dont le motif n’est pas de couleur noire indique que celui que le porte à gauche est un «fist fucker». Ça se corse au niveau des tons bleus. Le degré de subtilité est tel que certains tableaux de couleurs du hanky code en dénombrent six nuances. Bleu ciel à gauche: veut se faire sucer. Bleu ciel à gauche, avec motif imprimé en blanc: je suis un marin. Bleu de la couleur des œufs du rouge-gorge: amateur du 69. Bleu canard: j’aime torturer les parties intimes de mes partenaires.
Ce langage codé a connu son heure de gloire dans les années 1970 et 1980. Le chanteur Bruce Springsteen lui fait un clin d’oeil sur la pochette de son disque Born in the U.S.A, sorti en 1984, sur laquelle il pose de dos, une casquette rouge glissée dans la poche droite de son blue jean. Tombé en désuétude, le hanky code revient pourtant sur le devant de la scène grâce au film américain «Hanky Code: The Movie», sorti cette année et qui vient d’être présenté au Porn Film Festival de Berlin.