Vieillir avec le VIH
En 2022, près de la moitié des personnes séropositives en Suisse a plus de 50 ans. Comment avancent-elles en âge alors que le VIH est quasiment devenu une maladie chronique dans les pays occidentaux ? Le point avec deux spécialistes de la question.
Iels ont été dépisté·e·x·s à une époque où le diagnostic du VIH était un diagnostic de mort quasi certaine. Mais, comme pourrait le chanter Elton John, «they’re still standing» et plutôt bien, d’ailleurs. «C’est une magnifique nouvelle: les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sous traitement peuvent désormais vieillir très longtemps pour peu qu’elles prennent un traitement efficace», s’exclame le professeur Matthias Cavassini, directeur médical de la consultation ambulatoire du service des maladies infectieuses du CHUV et responsable des consultations VIH/sida hospitalières du CHUV alors que l’on commence notre interview. «La médiane d’espérance de vie de cette population ne cesse d’augmenter pour presque rejoindre celle de la population générale», se réjouit de son côté le Dr Alain Makinson infectiologue au CHU de Montpellier et président du Corevih.
Toutefois, cette nouvelle, très positive et qui va à l’encontre des croyances qui subsistent encore aujourd’hui, ne doit pas occulter une autre réalité: l’espérance de vie en bonne santé des personnes séropositives n’est, elle, pas encore alignée avec celle du reste de la population.
En effet, comme l’explique Alain Makinson, «on remarque chez les PVVIH qui avancent en âge davantage de maladies associées telles que des troubles cardio-vasculaires et rénaux, des cancers notamment pulmonaires et des troubles cognitifs.» En somme, s’il n’est pas certain que le VIH accélère le vieillissement, les personnes tendent à souffrir plus que les autres de maladies développées généralement par les seniors.
Effets des antirétroviraux
Que sait-on des causes de ce phénomène? D’abord, que le VIH ne conduit pas uniquement au sida mais également à une inflammation généralisée de l’organisme, qui est notamment délétère sur l’état des vaisseaux ainsi que sur la protection face aux cancers. Si ceci est particulièrement manifeste durant la période où la personne n’est pas traitée par antirétroviraux – période qui a pu être ainsi particulièrement dommageable pour la suite – cela l’est aussi dans une moindre mesure même lorsque la charge virale est indétectable. «Il subsiste malgré tout une inflammation à un niveau très bas», explique Matthias Cavassini tout en affirmant l’effet protecteur des antirétroviraux, ce qui permet de battre en brèche l’idée reçue selon laquelle les traitements contre le VIH auraient des effets indésirables particulièrement destructeurs pour les fonctions cardio-vasculaires ou rénales. Pour les troubles cognitifs, Alain Makinson signale: «On ne sait pas si leur prévalence est liée aux années où le virus s’est répliqué dans l’organisme, aux traitements ou à d’autres facteurs.»
Un autre facteur explicatif d’une plus importante prévalence de comorbidités chez les patients atteints de VIH relève des aspects comportementaux et environnementaux. Des études sur le style de vie des PVVIH en Suisse ont montré qu’elles étaient près de 44% à fumer et aujourd’hui, de plus en plus de PVVIH souffrent de cancers et de maladies cardio-vasculaires imputables au tabac. Nombreuses ont également été usagères de drogues, des usages dont on connaît l’impact à long terme sur les fonctions cognitives et cérébrales.
Vieillir avec le VIH et dans la précarité
On sait aussi, même s’il est difficile de tirer des généralités, que les PVVIH vivent souvent dans une certaine précarité, ce qui peut augmenter les risques en les éloignant d’un mode de vie sain avec une alimentation équilibrée et une activité physique régulière. Enfin, comme le note le sociologue Christophe Imhof «un environnement social plus réduit et des sentiments d’isolement et de solitude sont des thèmes présents chez les personnes qui vieillissent avec le VIH». Cela constitue un autre facteur de déclin cognitif.
C’est aussi un facteur de santé mentale dégradée, et ce sujet est bien le point noir de la vie des seniors séropositif·ve·x·s, qui constituent une population particulièrement touchée par la dépression – de 20 à 40% de plus que le reste de la population. Outre les soucis financiers et l’isolement, Christophe Imhof note également le poids de l’insatisfaction corporelle notamment liée à la lipodystrophie induite par les traitements. Enfin, bien sûr, la stigmatisation autour du VIH et des LGBTIQphobies demeure un fardeau majeur et particulièrement délétère pour la santé mentale.
Cette lutte contre le stigma et contre la sérophobie est aujourd’hui un des enjeux essentiels pour que les personnes positives au VIH puissent pleinement appréhender le troisième âge en santé et puissent être accompagnées de la meilleure manière qui soit.