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Le courage des personnes LGBTIQ+ afghanes

Le courage des personnes LGBTIQ+ afghanes
Photo Shutterstock

Depuis la reprise en main de l’Afghanistan par les talibans en août dernier et le départ des troupes occidentales, les personnes LGBTIQ+ sont livrées à leur sort. Face aux menaces d’exactions, elles vivent recluses ou tentent en vain de fuir le pays.

«Après que les talibans ont repris l’Afghanistan, une peur a émergé dans mon cœur parce que je ne savais pas ce qui allait se passer et parce que je connaissais déjà leurs antécédents et leurs croyances contre les LGBTIQ+. En ce moment, moi et la plupart des LGBTIQ+ afghan·e·x·s sommes caché·e·x·s pour ne pas être capturé·e·x·s par les talibans. La peur et la déception se sont installées dans mon esprit: je sais qu’un avenir sombre m’attend et que mon bonheur et mes objectifs passés vont être détruits. J’ai quitté ma famille, mon travail, mes ami·e·x·s restés à Kunduz et je me cache dans un appartement à Kaboul. Je ne fais que tourner en rond dans ma chambre en pensant à mon avenir.»
Depuis fin août, j’échange quotidiennement avec F. Cet homme gay, professeurs d’anglais, s’est réfugié chez son oncle à l’arrivée des talibans. Depuis, il reste reclus avec pour unique divertissement Lucy, la petite chatte de la maison, et de rares sorties au bazar pour acheter des produits d’épicerie. Son compagnon dont il était inséparable a pu partir – il avait un visa.

F, lui, n’a plus rien d’autre que l’attente. Il a bien essayé de se rendre à l’aéroport de Kaboul avant la fin des évacuations américaines, mais sans visa ni green card, il n’a rien pu faire et le nuit de cette tentative de départ a été particulièrement éprouvante puisqu’il s’agissait de ne pas se faire prendre par les talibans.

Tous les jours, alors que nous discutons de tout et de rien et qu’il me demande de mes nouvelles, je me rends compte du courage de F. et je me sens impuissante. J’ai bien essayé, comme tant d’autres, d’écrire à l’ambassade de France – mon mail est resté lettre morte -, et de le mettre en contact avec des personnes susceptibles de l’aider. Mais rien n’y a fait, le piège s’est refermé sur lui.

Le 15 août dernier, lorsque les talibans ont repris Kaboul, a été un électrochoc pour beaucoup d’entre nous parce que nous savions que le sort des personnes LGBTIQ+ et des femmes cis hétérosexuelles allait être bouleversé. La vie de ces communautés n’a pas été une sinécure sous Hamid Karzai puis Ashraf Ghani: les persécutions (viol correctif, mariage forcé…) n’ont jamais cessé. Mais il semblait que les choses commençaient à bouger. Le romancier afghan et ancien professeur de sciences politiques à l’Université américaine d’Afghanistan Nemat Sadat explique: «La communauté LGBTIQ+ underground de Kaboul commençait doucement à sortir du placard. Les médias commençaient à parler d’elle. Alors que dans les années 2000, la vie intime des gays se résumait à du cruising, ils pouvaient espérer vivre avec leur compagnon. C’est maintenant terminé, tout est balayé.»

Disparitions
Très investi dans la cause de ses compatriotes sur place, Nemat Sadat remue ciel et terre depuis mi-août pour les aider. Il dispose d’une liste de plus de 400 personnes LGBTIQ+ pour qui la seule option pour vivre libre, aimer et affirmer leur identité est de quitter le pays. Aucune n’a pu être évacuée. Certain·e·x·s d’entre elleux ont disparu, d’autres ont subi des agressions physiques et/ou des viols. On rapporte des meurtres extrêmement violents, comme celui d’un jeune gay, battu à mort et démembré par les talibans pour montrer aux autres ce dont ils sont capables.

S., un autre homme gay qui réside ou résidait à Kaboul, m’a rapporté le 24 août dernier que deux de ses amis avaient été tués et que les talibans avaient mis en place un groupe d’action spécifique pour traquer les personnes LGBTIQ+. Je n’ai plus de nouvelles de lui depuis ces échanges, échanges qu’il terminait systématiquement par des glaçants «Please help us, they are going to kill us.»  

Les informations qui remontent des associations nous alertent sur le fait que les talibans disposent de toutes les méthodes pour traquer les personnes LGBTIQ+ aussi bien sur les réseaux sociaux que via des techniques biométriques et de reconnaissance faciale: «Nous pensons que les talibans sont désormais susceptibles d’avoir accès à diverses bases de données et à des équipements biométriques en Afghanistan, y compris certains laissés par les forces militaires de la coalition. Cette technologie est susceptible d’inclure l’accès à une base de données avec des empreintes digitales et des scans d’iris, ainsi qu’une technologie de reconnaissance faciale», écrit l’ONG Human Rights First sur son site. Elle y a créé des tutoriels pour permettre aux Afghan·e·x·s recherché·e·x·s de sécuriser leur présence en ligne et empêcher les talibans de les retrouver via des bases de données.

Aujourd’hui, puisque toutes les présences étrangères ont quitté le territoire, les personnes LGBTIQ+ afghanes sont littéralement laissées à leur sort. Certaines tentent de traverser la frontière, tantôt vers le Pakistan, tantôt vers l’Iran et la Turquie, d’où iels sont systématiquement refoulé·e·x·s et laissé·e·x·s dans des conditions de vie absolument dramatiques. D’autres, comme F., se cachent et attendent. Mais qu’attendre dans ces conditions? C’est une résistance silencieuse qui se dessine depuis l’isolement des chambres afghanes. Je ne sais si je pourrai un jour partager ce verre de vin rouge dont nous avons parlé avec F. mais j’espère. Pour lui et pour les milliers de personnes dans son cas.

Face à cette situation, Sébastien Tüller, responsable des droits LGBTIQ+ à Amnesty International France, nous invite à «suivre avec attention l’évolution de la situation des personnes LGBTIQ+ dans le pays, et appeler la communauté internationale à mettre tout en oeuvre pour aider ces personnes d’une manière adaptée à la gravité de la situation.»