Babi Badalov, poète, punk et nomade
Lausanne accueille la première expo monographique en Suisse de l’artiste Babi Badalov. On y découvre un itinéraire singulier entre Bakou, Leningrad et Paris, et les créations graphiques et poétiques foisonnantes de celui qui a choisi Pasolini et Genet comme figures tutélaires.
Chez Babi Badalov, il y a à lire et à regarder. Et bien plus! Le mélange foisonnant des lettres et du dessin nous révèle un nouveau langage. L’espace Projet du Musée cantonal des Beaux-Arts est investi par des toiles, des collages, une fresque éphémère, des carnets, des banderoles frappées de caractères hybrides et ondulants formant des phrases débridées. Il peint sur des tissus chinés qu’il coupe, coud et réassemble, dans la plus pure tradition du DIY punk.
Dès le début de sa vie, Badalov a absorbé différentes langues et cultures. Il est né en 1959 dans une région de l’Azerbaïdjan qui jouxte l’Iran, d’une mère talysh (ethnie perse) et d’un père azéri. Éducation artistique orthodoxe aux Beaux-Arts de Bakou, puis service militaire sous les drapeaux soviétiques.
«Homosexuel», mais pas «gay»
En 1980, Badalov a quitté Bakou, poussé par le rejet violent de son homosexualité au sein de la société et de sa famille pour débarquer à Leningrad. Celui qui se définit aujourd’hui comme «punk, anarchiste et homosexuel» tient absolument au terme «homosexuel». Le qualificatif «gay» ne lui convient pas du tout, car il ne reflète pas la dureté de son vécu de persécution, explique-t-il. Dans l’exposition lausannoise, un espace est dédié à ses deux figures tutélaires, Pier Paolo Pasolini, que Badalov a choisi comme père – le visage du cinéaste-poète italien est tatoué sur sa main droite –, et Jean Genet, poète voyageur et marginal.
À Leningrad, l’artiste s’est rapidement fait une place de choix dans le milieu artistique underground décapant et dissident. Il a rejoint l’Association de l’art figuratif expérimental et s’est mis à composer des vers en russe. Un de ses poèmes a d’ailleurs gagné le prix du mythique squat artistique Pushkin 10. Dans un documentaire d’Arte, il dira de ce succès: «Je ne parle pas couramment le russe. En Russie, ils acceptent ma poésie avec beaucoup de fautes»). Aujourd’hui encore, la poésie visuelle de Babi Badalov comporte des «fautes» qui font jaillir de nouveaux sens, des sourires, et nous entraînent dans l’absurde. Pas question de sacraliser les langues.
Pérégrinations
Devenu un artiste reconnu en URSS, Badalov a poursuivi son travail (peintures, installations, performances et poésie) jusqu’en 1990. Cette année-là il a disparu du jour au lendemain, laissant la scène underground russe perplexe. L’artiste est réapparu en 2011 en France, où il a obtenu l’asile politique après des années de clandestinité en Turquie, aux USA et au Royaume-Uni.
L’œuvre de Badalov est comme sa vie, labyrinthique. Au Musée cantonal des Beaux-Arts, le spectateur-lecteur est embarqué dans un jeu aux règles sciemment mouvantes: Badalov mélange les alphabets cyrillique et latin, ajoute des hiéroglyphes qui se déploient comme des motifs orientaux, se fiche de l’orthographe et fait des jeux de mots (parfois scato). C’est la grande fresque, créée in situ qui est peut-être la plus touchante. Une multitude de messages ornés d’arabesques gracieuses et de profils d’homme nous parlent. Ils nous racontent l’histoire d’un artiste qui veut «orientaliser l’Occident et occidentaliser l’Orient».