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Adelson Carlos, écrire son propre script

Adelson Carlos, écrire son propre script
Photo: Nieders Dan

À l’aube de sa sixième saison au ballet du Grand Théâtre de Genève, rencontre avec le danseur brésilien Adelson Carlos, qui se confie sur son parcours tumultueux vers l’acceptation.

La lumière se rallume brusquement et nous extirpe de l’atmosphère bleue féerique créée par le photographe Dany Niederhauser. Adelson, se relève gracieusement, se change en un tour de main et me salue chaleureusement. Seules quelques paillettes sur son visage lumineux témoignent de la séance photo durant notre échange. Un café à la main, nous nous installons dehors, devant le Grand Théâtre, profitant ainsi de l’air frais de la matinée. Rayonnant et débordant d’une énergie tranquille du haut de ses 27 ans, il nous parle de son histoire et de sa vie genevoise.

Grandir sans script

«Lorsque je vois mes collègues danseur·euse·x·s du ballet du Grand Théâtre de Genève, je ne vois pas de genre, je vois seulement des corps unis par la danse.» Pourtant, Adelson Carlos reconnaît que le chemin a été long et sinueux pour en arriver là. Il évoque son enfance dans une favela de Salvador de Bahia au Brésil et raconte la manière dont la danse est devenue à la fois passion et échappatoire lors d’un épisode dépressif de sa mère. Il avait six ans. Il accède alors à des cours de danse par le biais d’une amie dans le cadre d’un programme d’une église locale qui distribue aussi des repas. Plus tard, il intègre la prestigieuse école de danse Bolshoi no Brasil de Joinville à l’âge de neuf ans et y étudie jusqu’à son diplôme, à dix-huit ans.

Ces années d’études de danse classique selon la méthode russe marqueront durant des années sa conception des rapports de genre et de la sexualité. L’enseignement y véhicule des normes strictes qui poussent Adelson à performer une masculinité conforme au script hétéronormatif tout en refoulant une large partie de son identité. «L’hétérosexualité est basée sur un script. Celui-ci n’est certes pas idéal, mais grandir sans ce script peut s’avérer être un vrai cauchemar.» Outre l’homophobie véhiculée à travers l’enseignement, Adelson évoque sa honte d’étudier grâce à une bourse, tandis que beaucoup de ses pairs viennent de milieux aisés. Il déplore également le manque de représentation de personnes racisées dans le monde de la danse à cette époque.

Échappée belle

Adelson découvre la Cinevox Junior Company basée à Schaffhouse lors d’un festival à Joinville et se lie d’amitié avec l’un des danseurs, brésilien lui aussi. Dès lors, il se lance le défi de rejoindre la compagnie en Suisse. Comme il n’a pas les moyens d’acheter un billet d’avion pour la Suisse, il négocie durant des mois avec plusieurs compagnies aériennes afin d’obtenir un aller simple gratuit pour l’Europe. Parallèlement, il organise une récolte de fonds sur internet afin de financer son arrivée en Suisse. Une compagnie aérienne répond finalement à sa demande par la positive et lui offre de voyager en stand-by, c’est-à-dire qu’il pourra prendre l’avion dès qu’une place sera libre sur un vol vers la Suisse.

Après trois jours d’attente à l’aéroport de São Paulo, deux escales à Porto puis Lisbonne, Adelson arrive à Zurich en plein hiver, sans connaître d’autre langue que le portugais ni avoir de connexion internet. Une fois de plus, sa fibre sociale le guide et il parvient à retrouver son ami de la compagnie grâce à l’aide d’une des passagères de son vol. Coup d’audace, il se présente à la compagnie en prétendant avoir rendez-vous pour une audition… or il n’a jamais fixé de rendez-vous! Il parvient néanmoins à auditionner pour la compagnie quelques jours après son arrivée et est immédiatement engagé. Un an et demi plus tard, il débute au ballet du Grand Théâtre de Genève…

Écrire son propre script

Adelson constate que sa vie a beaucoup changé depuis son arrivée en Suisse. Ce nouveau chapitre helvétique lui a permis de progressivement affirmer toutes les facettes de son identité et d’avoir le courage de dire d’où il venait. «Un jour, un ami m’a conseillé d’arrêter d’aller aux auditions avec du vernis à ongles rose, faute de quoi je ne décrocherai jamais aucun rôle selon lui. Plus tard, Philippe Cohen (ancien directeur du ballet du Grand Théâtre de Genève) me dira que c’est justement pour mes qualités propres qu’il m’a choisi et non pour jouer le rôle de quelqu’un d’autre.»

Parmi les changements positifs, il cite les costumes «couleur chair» du ballet du Grand Théâtre: «Ici pas besoin de porter des costumes trop clairs qui ne correspondent pas à notre couleur de peau, les couleurs sont automatiquement adaptées». Ayant grandi sans représentations, il salue aussi la présence croissante de personnes racisées dans le monde de la danse. «Des chorégraphes comme Sidi Larbi Cherkaoui (directeur actuel du ballet du Grand Théâtre de Genève) valorisent profondément la diversité et ça se ressent.»

Photo: Nieders Dan

Hors des murs de l’institution, c’est aussi la communauté queer genevoise qui lui permet d’être accepté et de s’accepter tel qu’il est. Malgré les barrières qu’ont pu représenter la langue et les tournées fréquentes de la compagnie, le danseur s’y sent désormais pleinement intégré et y compte de nombreux·ses ami·e·x·s. Il tient également à créer des ponts entre le milieu institutionnel et alternatif. «Des évènements tels que le bal queer “Late Night Extravaganza”, organisé par le festival Antigel dans les murs du Grand Théâtre de Genève, montrent que l’institution s’ouvre progressivement à la communauté queer.» Il invite régulièrement ses ami·e·x·s de la communauté aux représentations du ballet afin de renforcer cette tendance.

Ombres au tableau

Même s’il dit se sentir moins discriminé en Suisse que jadis au Brésil, Adelson constate que son expérience ici n’est pas toute rose non plus. Il raconte avoir été récemment confronté à des propos racistes très directs lors d’un date à Genève. Il remarque par ailleurs que l’internalisation des discriminations reste un problème majeur à surmonter. «J’ai réalisé grâce à une amie à quel point j’avais internalisé l’homophobie sans m’en rendre compte. Il m’a fallu du temps pour déconstruire ces croyances.»

Demain peut-être

Aujourd’hui, le danseur revient sur son parcours avec du recul, de la sérénité et une bonne dose d’humour. Il exprime sa gratitude envers les personnes qui l’ont aidé et note que beaucoup de choses ont changé pour le mieux, notamment la représentation des personnes racisées dans le milieu de la danse classique. Il reconnaît néanmoins qu’il reste encore un long chemin à faire et souhaite que chacun·e·x prenne conscience de ses privilèges et s’informe. Enfin, il insiste sur l’importance de la bienveillance indépendamment du milieu. «Sois toi-même tant que tu ne blesses personne», glisse-t-il malicieux en guise de conclusion à notre entretien.

Suivez Adelson sur son compte instagram: @ade.carlos


Équipe créative de BØWIE qui a réalisé le shooting
Direction artistique: Naïma Stark
Post Production: Tessa Roy
Stylisme: La Peau De Pêche
Photographie: Nieders Dan