«Cher connard» un tableau angoissant et magnifique du début de cette décennie
Annoncé comme l'événement de la rentrée littéraire, le roman de Despentes, Cher connard, Publié chez Grasset tient-il ses promesses? Notre rédacteur en chef nous partage son avis.
En tant que mec, quand je lis le titre du dernier Despentes, je me dis que mes congénères hommes et moi, on va s’en prendre plein la gueule, et à juste titre! Il y en a des choses à régler, des masculinités violentes aux masc4masc digitaux [ndlr: le terme «masc4masc» est utilisé sur les plateformes de rencontres en ligne par des hommes qui affirment être «masculins» et n’être attirés que par des personnes perçues comme telles]. Là où Despentes est forte, comme à son habitude, c’est que finalement tout le monde en prend pour son grade.
Dans ce roman écrit sous forme de correspondances entre deux personnes, on assiste au développement d’une relation entre Oscar et Rebecca que beaucoup semble opposer. Au fil du récit, les lecteur·rice·x·s sont amené·e·x·s à découvrir graduellement ce qui lie ces deux individus et on se retrouve emporté·e·x par la plume grinçante de Despentes. Ses thèmes de prédilection sont toujours présents: drogues, vie de couple, parentalité, bien-pensance, viol, violence et sexualité. Alors que la dramaturgie de Vernon Subutex s’était déjà appuyée sur des événements contemporains majeurs, on sent ici que 2020 est passé par là. Aux marottes de Despentes viennent s’ajouter le Covid, les vaccins, le confinement et #metoo.
Le plaisir de la lecture émane peut-être de cet étrange sentiment de malaise voyeur lorsqu’on est témoin d’une invective publique entre deux personnes. Ou alors est-il provoqué parce que la romancière française appuie pile là où ça fait mal, boxant des certitudes que l’on tenait pour plus solides, moins friables que ce qu’on pensait jusque là? Toujours est-il qu’on retrouve la puissance des mots de Despentes dans ces trois-cent pages.
On pourrait reprocher au livre d’explorer le quotidien de deux personnes «qui ont réussi», des nanti·e·s qui sont à l’aise financièrement, moins frappé·e·s par les dimensions sociales du Covid, passant ainsi à côté de certaines dimensions matérielles de cette crise. En effet, le récit proposé suit une légende du cinéma français et un écrivain à succès. Cependant, et même si les personnages principaux auraient peut-être pu être un peu plus fouillés, on retrouve tout de même les talents d’observatrice de génie de Despentes qui brosse un portrait acide de la société contemporain, des smicard·e·x·s aux grand·e·x·s bourgeois·es·x,.
Si Subutex est le roman qui reflète dans ses pages les années 2010, Virginie Despentes signe avec Cher connard un tableau angoissant et magnifique du début de cette décennie.