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La Prohibida, artiste iconique espagnole

La Prohibida, artiste iconique espagnole

Ce mois-ci, la Prohibida, célèbre ses 51 ans avec un nouvel album. La chanteuse, juge invitée de Drag Race Espagne cette saison, a traversé les générations. À la frontière entre plusieurs genres, cette drag queen emblématique – ou travesti, comme elle préfère se définir – s’impose comme témoin de la scène artistique espagnole.

Sa fameuse perruque rouge aux cheveux ondulés est reconnaissable parmi les client·e·x·s du café de la Casa Encendida, un centre culturel à deux pas du Musée Reina Sofía. La Prohibida sort tout juste d’une séance photo et porte une robe bleue turquoise à franges lui arrivant aux genoux. Son imprimé brique est assorti à ses sandales compensées en paille. «La Prohibida, c’est un personnage. C’est le nom artistique d’un travesti qui fait des spectacles», lance l’artiste, dont le maquillage smoky laisse apparaître un regard intense. Si en français son nom signifie «L’interdite», ce nom de scène a été choisi «de la manière la plus désinvolte et la plus aléatoire qui soit». Elle est l’un des piliers de la scène drag espagnole.

Une première fois imprévue

Luis Herrero Cortés, de son vrai nom, a 17 ans lorsqu’il part vivre par amour en Italie à une époque où la Prohibida n’existe pas encore. Là-bas, l’Andalou étudie les langues pendant près de 10 ans et rêve de devenir traducteur au Parlement européen. Afin de financer ses études, l’Espagnol enchaîne les petits boulots: strip-teaseur, serveur… Le passionné de cinéma méditerranéen des années 50 et 60 est danseur dans une boîte de nuit où il côtoie de nombreu·se·x·s transformistes. Un soir de 1987, afin de remplacer une artiste, sa cheffe, Paola Cuervo, lui propose de se travestir. «Je m’en souviens très bien. J’avais une robe noire et une perruque à elle. C’est elle-même qui m’a maquillée». Ce sera sa première performance en tant que drag queen et le point de départ d’une longue carrière.

Trouver sa place 

À son retour à Madrid en 1996, l’Espagne est en plein boom transformiste. «Les opportunités de travail étaient nombreuses. Des tournées avaient lieu dans tout le pays. Je connais beaucoup d’artistes qui se sont fait·e·x·s une fortune à ce moment-là», se souvient celle qui s’inspire alors de divas méditerranéennes comme Brigitte Bardot, Sophia Loren ou Anna Magnani. À l’époque, la Prohibida se cherche. «Le public attendait de moi que je fasse des imitations, des playbacks comme les autres travestis. J’admirais leur travail. Mais moi, je voulais chanter», se remémore la musicienne qui sort ce mois-ci son sixième album, aux sonorités italo-disco*.

Très populaire au Chili et au Mexique

Pour la scène indie, son univers est trop drag et pour le monde du drag, c’est trop indie. «Mais j’ai fini par trouver mon public», se réjouit la Prohibida. Tout s’enchaîne alors assez rapidement. Depuis toujours attirée par la scène, elle se lie d’amitié avec le groupe de glam rock Fangoria et part en tournée à travers l’Espagne avec le duo. L’admiratrice de l’artiste américaine Divine commence alors à se faire un nom dans le monde de la nuit. La drag queen multiplie les dates et traverse l’Atlantique lors de sa première tournée en Amérique latine en 2005. Un moment «très enrichissant et marquant», dont l’interprète se souviendra toute sa vie.

«Le drag n’est pas politique»

Être drag queen et chanteuse? Un mélange «très facile». «Le drag n’est pas politique. C’est avant tout une forme d’expression. Ce qui le transforme en politique, c’est l’environnement autour. Certaines personnes se prennent trop au sérieux. Avant, on parlait moins et on agissait plus», regrette l’artiste électro-pop. Lorsqu’on lui demande comment était le transformisme dans les années 90, «une dizaine d’années après la dictature franquiste», l’interprète de Baloncesto s’emporte. «Les francophones, vous avez un grave problème avec la dictature. Il faut sortir de ce cliché. La dictature s’est arrêtée en 1975. Dans les années 90, le pays était beaucoup plus avancé que certains autres pays européens».

Une artiste emblématique

Aujourd’hui, difficile de passer à côté de son nom. Celle qui ne se montre jamais sous sa vraie apparence en public est une source d’inspiration pour de nombreuses drag queens espagnoles. «La scène actuelle est merveilleuse. Il y a un très beau panorama», se réjouit celle qui a récemment été invitée comme juge dans la nouvelle saison de Drag Race Espagne. «Il y a toujours eu une culture drag très importante. Même dans les moments où cet art était moins populaire, il y a toujours eu du travail. Des fois je me demande pourquoi Drag Race, bien que merveilleux, ait été nécessaire pour que les gens se rendent compte du talent qui était déjà présent dans leur quartier», regrette la quinquagénaire.

«Je suis un gros pédé»

La Prohibida, une icône queer? Lorsqu’on lui pose la question, la chanteuse prend en main le téléphone enregistrant la conversation et dit en français: «Je suis un travesti. Un gros pédé», avant de continuer en espagnol. «Je ne veux pas me cacher derrière une phrase en anglais qui fait ‘cool’. Je n’ai pas peur que les personnes me voient comme un pédé. Je ne suis pas queer. Je suis un homme cis gai normatif. Je me déguise en femme seulement pour certaines activités. Je suis une artiste qui travaille, rien de plus», analyse la passionnée de langues.

25 ans de carrière

A presque 51 ans, son rêve le plus cher a été exaucé: vivre de sa passion. Si la Prohibida espère un futur avec de meilleures conditions de travail pour toutes les artistes et une scène locale avec plus de shows, l’âge n’est pas un problème pour elle. «Dans 20 ans? Je ne sais pas si je travaillerais encore ou si je me serais retirée de la scène. Une chose est sûre, j’aimerais être au bord de la mer.» Vieillir ne lui fait pas peur. «L’esthétique du drag s’adapte parfaitement. On peut être divine en étant plus âgée. Je pense même que je serai encore meilleure que ce que je suis aujourd’hui», conclut-elle. La future Michelle DuBarry espagnole?

* L’album El agua y el rayo, financé par une campagne de crowdfunding est produit par le duo ItaloConnection, il est disponible sur les plateformes de streaming depuis fin mai. Plusieurs concerts sont prévus à travers l’Espagne lors de la saison des festivals.