«Je trouve Lucky Luke très sexy quand il fume ou se roule une cigarette»
Pour les 75 ans du cowboy solitaire, plusieurs bédéistes se sont emparés du personnage créé par Morris. Parmi ces hommages, Choco-Boys de Ralf König apporte quelques grammes de queerness (et de swissness!) dans le monde de brutes où galope Lucky Luke.
Le roi de la BD pédé s’offrant une escapade dans l’univers spartiate du Far West de Lucky Luke. Voilà qui promet de faire des étincelles! Et qui a dû sans doute causer quelque émoi chez Dargaud et les héritiers de Morris lorsqu’ils ont eu vent du projet. «Je suis en effet connu comme le dessinateur gay qui dessine aussi de temps en temps des choses pornographiques», s’amuse Ralf König, pas peu fier de sa réputation un tantinet sulfureuse dans le monde de la BD.
Le dessinateur-scénariste allemand, âgé de 60 ans, s’est fait connaître au début des années 1980 en publiant des histoires courtes qui dépeignaient la scène gay. «À cette époque il n’y avait que de la littérature sérieuse et des articles de presse qui traitaient de l’homosexualité. Et je suis arrivé avec mes blagues et mes cartoons, ce qui était réjouissant et exactement ce dont nous avions alors besoin. J’étais le seul à occuper cette niche de la BD humoristique gay, et je ne savais pas que c’était ce que j’allais faire toute ma vie», explique Ralf König. Le dessinateur est devenu célèbre avec ses albums Gai Comix, mais surtout avec ses personnages Conrad et Paul, un couple gay dont les tribulations étaient fortement inspirées de la vie quotidienne du dessinateur avec son compagnon d’alors. Son œuvre prolifique lui a valu de nombreuses récompenses, dont le prestigieux prix du scénario du Festival d’Angoulême en 2015 pour sa BD Comme des lapins.
Lecteur assidu des BD de Lucky Luke depuis son enfance, Ralf König a pu se lancer dans la création de son album hommage, Choco-Boys, à deux conditions: son Lucky Luke ne devait être ni fumeur, ni homo. «La première condition m’a plus posé problème que la seconde, car je trouve Lucky Luke très sexy quand il fume ou se roule une cigarette. Morris savait très bien le dessiner. Cela ne m’a par contre pas du tout dérangé que Lucky Luke ne soit pas gay. Ce personnage est très asexuel, cela ne me serait donc pas venu à l’idée. J’ai par contre annoncé à la maison d’édition et à la famille de Morris que j’allais dessiner une histoire de cowboys gays, auquel cas le projet ne m’intéressait pas», explique Ralf König.
Une boîte de chocolats reçue à Zurich
Cette histoire gay, c’est celle de deux cowboys tombant en amour sur les flancs de «Bareback Mountain» (toute référence appuyée à un célèbre film est évidemment fortuite!). Lucky Luke croise la route de l’un des deux quand il reçoit pour mission de veiller sur les vaches laitières de couleur mauve (toute référence à une célèbre marque de chocolat…) d’un chocolatier suisse souhaitant faire connaître ses douceurs dans le Far West. Cette histoire farfelue de chocolat suisse a germé dans la tête du dessinateur par hasard, un jour que son regard s’attardait sur une boîte de chocolats reçue en cadeau lors d’une lecture à Zurich… Ralf König a également imaginé une idylle lesbienne fiévreuse entre la guerrière Calamity Jane et une cheffe indienne baptisée Sitting Butch. Les dialogues de Choco-Boys sont également truffés de références et de sous-entendus dont se délecteront les initiés.
Dans les albums de Morris, Lucky Luke n’a jamais de tétons, tout comme Astérix, Prince Vaillant et la plupart des personnages masculins de cette époque
Couillus et poilus
Même si son Lucky Luke ne s’aventure jamais au-dessous de la ceinture, Ralf König n’a pas pu s’empêcher de le doter des mêmes attributs que ses héros habituels, tous couillus et poilus. Sous son feutre, le cowboy a désormais une coquette bosse qui pointe sous le ceinturon, s’autorise même à se laisser pousser la barbe pendant quelques jours, et son torse imberbe affiche pour la première fois deux tétons: «Dans les albums de Morris, Lucky Luke n’a jamais de tétons, tout comme Astérix, Prince Vaillant et la plupart des personnages masculins de cette époque, ce que j’ai toujours trouvé très bizarre», fait remarquer le dessinateur. Dessiner un Lucky Luke un peu plus sexué que dans la BD originale, c’était en quelque sorte réaliser un rêve de gosse pour Ralf König: «Je le trouvais déjà sexy quand j’étais enfant sans même savoir que j’étais homo. J’aimais les cheveux noirs qu’il a sur la nuque. Alors pouvoir dessiner moi-même ces cheveux-là, 50 ans plus tard, c’est vraiment super.»