La Fête du slip, un espace pour se sentir pleinement qui on est
Viviane et Stéphane Morey ont cofondé le festival des sexualités lausannois La Fête du Slip en 2012, et l’ont codirigé durant 8 ans.
Après Viviane qui se retirait officiellement de la direction du festival en janvier 2020 pour rejoindre le comité de l’association, c’est au tour de Stéphane d’annoncer son départ après l’édition 2021, en raison de sa nomination à Cinéform. Pour 360°, le frère et la sœur font le bilan de leurs années de codirection et partagent leurs espoirs pour la suite.
Viviane Morey: Voilà 9 éditions que tu es à la tête de La Fête du Slip.
– Lorsque tu repenses au chemin parcouru, que dirais-tu au Stéphane de 2012?
Stéphane Morey: Nous abordions dès le départ des thématiques qui sont toujours très actuelles et omniprésentes dans le débat public. Je suis fier que notre festival ait participé, à notre modeste échelle, à soulever ces questionnements essentiels.
– Et toi, de quoi es-tu le plus fière?
VM: Jamais je n’aurais imaginé à l’époque que notre humble initiative grandirait pour devenir ce qu’est La Fête du Slip aujourd’hui! Mais ce dont je suis la plus fière, c’est que La Fête du Slip soit un espace culturel bienveillant et pas snob.
– À l’inverse, est-ce que tu as un regret ou une ambition inassouvie?
SM: Une des grandes frustrations concernant la programmation, c’est l’effet entonnoir. On commence avec beaucoup d’idées, de rêves. Au fil des mois, certains projets prennent forme pendant que d’autres, géniaux, ne se concrétisent pas. Par exemple, nous avions envisagé de programmer un concours littéraire, une exposition BD ou encore des spectacles d’humour. Pour des raisons diverses, ces projets ne se sont pas réalisés.
– Que souhaiterais-tu voir réaliser par nouvelle direction?
VM: Le festival a de la marge d’amélioration en termes d’accessibilité et d’inclusion, notamment vis-à-vis des personnes racisées, de publics particulièrement stigmatisés comme les travailleur·euse·x·s du sexe, mais également des personnes neuroatypiques et en situation de handicap. L’événement se doit d’être accessible et safe pour le plus grand nombre, autant de questions devenues plus saillantes depuis que nous avons fondé le festival. J’ai pleine confiance dans le fait que la prochaine direction saura prendre ces «nouveaux» combats à bras le corps!
– Et toi, quels espoirs nourris-tu pour l’avenir du festival?
SM: Pour moi, l’objectif a toujours été que le festival soit un espace neutre, dans lequel tout le monde, des cis-het de base comme moi aux personnes les plus marginalisées et invisibilisées, puisse se sentir à l’aise, accueilli·e·x, sans qu’aucun groupe ne soit dominant. Avec les années, j’ai compris que notre inclusivité pouvait et devait s’élargir encore, quitte à créer aussi des espaces exclusifs pour permettre à tous les publics d’accéder au festival sereinement. La Fête du Slip a toujours été un lieu de joie, de bienveillance, de tolérance et de partage. Je trouve de plus en plus difficile de maintenir cet état d’esprit. Le projet fondamental exprimé dans notre manifeste a consisté dès le départ à défendre une «éthique minimale pratique», qui vise la coexistence dans une société plurielle au sein de laquelle tout le monde trouve sa place. J’ai toujours pensé que la culture avait un rôle essentiel à jouer dans ce sens.
– Est-ce que tu te souviens d’un moment précis où tu t’es dit «voilà pourquoi je fais ça, pourquoi tous ces efforts en valent la peine»?
VM: Un des moments les plus marquants pour moi, c’était lors d’une de nos réunions dans mon salon à l’époque. Une personne du bureau m’avait alors dit que le festival était le premier espace où elle s’était sentie le droit d’être pleinement qui elle était. Ou à chaque cérémonie de clôture, quand on se mettait à pleurer, toi d’abord et moi ensuite, de fatigue, mais surtout d’émotion, pour tout ce qui avait été partagé pendant la durée du festival.
SM: Oui, on a vécu de sacrées montagnes russes à chaque édition! Le genre de moment où on se dit «on en rira dans 10 ans».
VM: Eh bien justement, quelle est l’anecdote que tu te réjouis de raconter dans 20 ans?
SM: Je me souviendrai toujours de ce moment en 2014, le Bourg était plein à craquer pour le film d’ouverture et tout le monde attendait impatiemment que la soirée commence. Et là, je réalise que le film est trop lourd pour l’ordinateur qui devait le projeter. Le cauchemar. Au pied levé, on a fait le Q&A avant le film pour meubler pendant presque une heure tandis que le problème technique se résolvait discrètement en coulisses. C’était un enfer, mais aussi un de ces moments précieux où toute l’équipe se dévoue sans hésitation pour trouver une solution coûte que coûte.
– Et toi, quel a été ton plus gros flip?
VM: Bien qu’année après année le festival grandissait et que chaque édition ait été un succès retentissant, souvent sold out, j’avais peur avant chaque nouvelle édition que personne ne vienne… J’ai douté à chaque fois, jusqu’à la dernière minute… ahaha! Un autre truc qui m’a causé bien des nuits blanches, ce sont les aspects financiers du festival, je me suis beaucoup inquiétée des risques qu’on prenait.
SM: Ah oui, j’avais presque oublié qu’au début nous n’avions aucune subvention et que l’on comptait entièrement sur le crowdfunding. Heureusement, après trois ans, mes compétences de recherche de fonds se sont améliorées et les soutiens ont enfin commencé à tomber! L’année suivante, notre comité a démontré sa capacité de persuasion auprès du nouveau syndic fraîchement élu et de son nouveau chef du service de la culture, et nous avons finalement obtenu le soutien de notre Ville, Lausanne. Nous avons fait face à bien des défis dans l’ombre pour faire exister ce festival.
– À ton avis, quel est le plus grand défi pour l’avenir du festival?
VM: La Fête du Slip fonctionne grâce à une foule de personnes qui travaillent de manière acharnée pour que le festival ait lieu. La cohésion d’équipe est essentielle, et ce n’est pas toujours simple de trouver le bon équilibre entre une communauté solidaire, qui est aussi une structure professionnelle, et entre les bénévoles et les salarié·e·x·s.
SM: Oui le financement et en particulier la capacité du festival à payer correctement l’ensemble des collaborateur·trice·x·s est et restera un des enjeux centraux à l’avenir. Même si le budget a augmenté chaque année de manière exponentielle, cela reste difficile de trouver des soutiens pour un festival avec des thématiques si délicates. Il a fallu affiner l’argumentaire au fil des années.
VM: Je me rappelle qu’au début on n’osait pas dire que le festival était un événement féministe, car en 2012, ce n’était pas cool d’être féministe. Du coup on disait qu’on était «sexe-positif·ve·x·s».
SM: Le monde a bien changé depuis 2012… Est-ce qu’il y a des choses que tu trouves gênantes avec le recul?
VM: On a beaucoup appris pendant ces années… Par exemple qu’on ait utilisé la formule trans-embyphobe «mesdames et messieurs et toutes les personnes entre-deux» pour s’adresser au public lors de la première cérémonie de clôture…
SM: Ah oui… c’est ce qui arrive quand on ignore ses privilèges. La déconstruction et la prise de conscience ne s’arrêtent jamais et c’est tant mieux.
VM: De la bienveillance et de l’inclusivité, c’est tout ce qu’on peut souhaiter pour l’avenir de la Fête du Slip, non?
SM: Exact!