Envoûtant récit d’un amour interdit
Dans «Portrait de la jeune fille en feu», Céline Sciamma filme le regard, les sentiments et le désir. Avec Noémie Merlant et Adèle Haenel, un superbe duo d’actrices.
Après «Naissance des pieuvres», «Tomboy» et «Bande de filles», Céline Sciamma livre son quatrième long métrage «Portrait de la jeune fille en feu», qui lui a valu le prix du scénario en mai dernier à Cannes, ainsi que la Queer Palm. Spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, elle change de temps et de décor. Et explore, dans ce film bouleversant sur le regard, les sentiments et le désir, l’idylle impossible entre deux femmes, la brune Marianne (Noémie Merlant) et la blonde Héloïse (Adèle Haenel). Un superbe duo d’actrices.
On est en 1770. Artiste peintre farouchement indépendante, la première débarque sur une île bretonne isolée à l’appel d’une riche propriétaire qui lui a commandé le portrait de mariage de la seconde, à peine sortie du couvent. Mais Héloïse résiste à cette union forcée en refusant de poser. Jouant la dame de compagnie sur commande, Marianne, l’observant pour mieux mémoriser sa beauté, sa gestuelle, va la peindre en secret. D’abord hiératique, distante et rétive, Héloïse succombe bientôt à son charme.
Des dialogues ciselés
Entre beauté et douceur, Céline Sciamma filme avec sensualité, finesse, pudeur et sobriété l’éveil de l’amour conduisant à une éphémère relation passionnée. Excellentes, les deux comédiennes évoluent en parfaite harmonie, contournant audacieusement la loi des hommes à une époque où la liberté des femmes était des plus limitées. Comme pour mieux s’affirmer et s’affranchir, elles se livrent à des joutes verbales de haut vol grâce à des dialogues ciselés, qui subliment cet envoûtant et fiévreux récit d’un amour interdit, où peinture et cinéma se rejoignent dans un acte de création.
«Le film a été construit pour Adèle, en pensant à ses possibles, à ce que je sais d’elle, avec le projet d’une artiste neuve. Je voulais chroniquer la naissance d’un désir, l’amplitude d’une histoire d’amour, ce que c’est de tomber amoureux, d’aimer», explique Céline Sciamma. «Il s’agit aussi d’une réflexion sur le regard, le fruit d’une somme d’entre eux, de l’abandon et de la confiance dans celui de l’autre.»
«On voit Héloïse et Marianne penser en direct»
La réalisatrice évoque l’analogie évidente entre la peinture et le cinéma. «Je me sers de l’une pour parler de l’autre. Notre travail est fait de couches. J’aurais pu m’inspirer d’artistes célèbres. Mais pour montrer le travail, il fallait se détacher du biopic. C’est mon film le plus dialogué, avec des échanges intellectuels. On voit Marianne et Héloïse penser en direct. Il y a là quelque chose de l’ordre de l’humour, du plaisir.» «Avec Céline, j’ai une complicité intellectuelle et artistique. Je l’accompagne dans la mise en scène. Ça me plaît vachement d’explorer tous les jeux», raconte de son côté Adèle Haenel. «Comme de construire un personnage Picasso en trois phases. La phase Japon (avec une sorte de masque), la phase dégel (le masque se craquèle) et la phase vraiment chaude. » Elle ajoute: «Le film dit aussi ce qu’on fait d’une histoire d’amour au passé qui continue à nous habiter…»
» Dans les salles romandes mercredi. Séance spéciale en présence de la réalisatrice Céline Sciamma le mardi 24 septembre au Cinéma Les Scala à Genève.