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Le tour du genre en 236 jours

Rencontre avec Beatriz Preciado qui livre, avec Testo Junkie, une expérience de piratage des genres, et appelle à l’insurrection face au contrôle «pharmaco-pornographique». Touffu, mais salutaire.

Beatriz Preciado rencontre Virginie Despentes au moment où elle décide de se livrer à un «protocole d’intoxication volontaire à base de testostérone». Cette expérience qui durera 236 jours lui procure une «capacité démultipliée des muscles, une lucidité extraordinaire, une explosion d’envie de sortir, de traverser la ville entière, de baiser»… Difficile, quand on rencontre cet être timide, réservé, modéré, d’imaginer une telle débauche de sexe ! «C’est bien connu, reconnaît-elle en souriant malicieusement, les plus timides sont les plus pervers.» Nous voilà prévenus. Elle reprend : «Je voulais produire une forme de pornographie alternative au porno hétéro dominant.»

Des hommes et femmes naturels?
Testo Junkie aurait pu n’être qu’une critique des systèmes d’assignation des genres et de contrôle de la sexualité, une dénonciation des multinationales pharmaceutiques, ou encore une attaque contre l’industrie pornographique. Il aurait pu n’être qu’un compte rendu des mutations physiologiques provoquées par la testostérone dans le corps de l’auteure. Il aurait pu n’être qu’une autofiction pornographique lesbienne. Or, il est tout cela à la fois, et c’est ce qui fait son intérêt. Comment croire encore en l’existence d’hommes et de femmes naturels alors que les femmes prennent la pilule, les hommes carburent au Viagra, les sportifs se shootent aux stéroïdes, sans parler du Prozac, de la cortisone, de la cocaïne, de l’alcool, de la codéine. Et pourtant, au nom d’une supposée vérité naturelle de la masculinité et de la féminité, la libre consommation d’hormones comme la testostérone demeure interdite aux trans, ainsi qu’à toute personne souhaitant construire son propre genre.

Pendant longtemps, Beatriz Preciado a envisagé de changer de sexe en passant par une opération et un traitement hormonal. Elle a aussi été influencée par ses amis qui prennent de la testostérone. «Mais une opération n’aurait pas changé l’image que j’avais de moi. Et je ne voulais pas aller voir un psychiatre. Je préférais avoir plusieurs godes plutôt qu’une seule bite.» Elle dit également ne pas vouloir passer par une opération pour ne pas faire alliance avec l’Etat, les pouvoirs médicaux, juridiques et médiatiques. Un peu dur pour ceux qui sont bien obligés d’en passer par là. «Moi aussi, je suis dans le compromis avec l’Etat tous les jours. En réalité, les trans sont ceux dont je me sens le plus proche. Mais je connais des trans qui sont opérés depuis 20 ans et qui disent qu’aujourd’hui ils ne se sentent ni homme ni femme, ils s’en foutent de tout ça. Ils sont maintenant dans un refus total des genres, des normes.»

Question de dose
Beatriz Preciado se réclame d’«une tradition philosophique underground pour laquelle la philosophie consiste aussi à expérimenter avec son corps. Cela va de Saint-Augustin qui écrit à la première personne, ajoute-t-elle, au féminisme qui prône la redécouverte du corps des femmes, en passant par Freud qui voulait tout essayer, à commencer par la cocaïne.» Mais présenter la testostérone comme une substance permettant de brouiller les genres, voire de devenir un membre de la classe dominante, n’est-ce pas dangereux ? «C’est surtout une question de dose. Mais, oui, les traitements hormonaux sont dégueulasses. On a l’impression que les gens ont décidé de se foutre en l’air. Pour ma part, j’ai arrêté car je ne voulais surtout pas devenir dépendante des industries pharmaceutiques.»

Testo Junkie est par ailleurs dédié à l’écrivain Guillaume Dustan, mort en 2005. «Guillaume a été très critiqué à cause du bareback. Je pense que c’était sa manière à lui de procéder à la construction du corps séropo, de réagir à l’effacement du corps séropo dans la société française.» Testo Junkie apparaît ainsi comme une lettre ouverte à Dustan, une façon de parler de la sexualité trans/gouine comme lui évoquait la sexualité gay.

Testo Junkie, de Beatriz Preciado. Ed. Grasset www.beatrizpreciado.com