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Tous collabos les homos?

Dans un livre à succès, «1940-1945, Années érotiques», le journaliste Patrick Buisson suggère un lien entre homosexualité et collaboration. En acceptant de se prêter à une lecture critique de l’ouvrage, deux historiens, Annie Lacroix-Riz et Mickaël Bertrand, révèlent d’autres dessous du régime de Vichy.

«À Madeleine, ma mère, qui a traversé ce monde ancien la tête haute.» Si l’on en croit le livre 1940-1945, Années érotiques, les Français sont loin d’avoir été aussi irréprochables que la maman de l’auteur, Patrick Buisson, ancien journaliste au journal d’extrême droite Minute, conseiller de Sarkozy et directeur de la chaîne Histoire. Car, à votre avis, que faisaient les Français durant la seconde guerre mondiale alors que leurs soldats se morfondaient dans les stalags? Ils faisaient la fête, ils bâfraient dans les restaurants chics, ils copulaient. Et les femmes de prisonniers? Elles en profitaient pour tromper leurs maris, les garces, quand elles ne se livraient pas à la prostitution. Et sur le chemin de l’exode? Toutes les occasions étaient bonnes pour de «tendres escapades» avec des inconnus. Et pendant les bombardements, que faisait-on dans les caves? Et pourquoi les Français ont-ils perdu la guerre? Parce que la virilité des hommes n’était plus ce qu’elle était du temps de la Grande Guerre, la faute aux femmes émancipées et androgynes paraît-il.

Cette vision d’une France soumise et obsédée par le sexe pourrait faire sourire si elle n’était accompagnée d’un discours moralisateur, réactionnaire et homophobe. Car les sources sélectionnées par Buisson désignent le relâchement des mœurs et l’homosexualité comme étant les premiers responsables de la défaite française. Clé de voûte de sa démonstration, un passage de Jean-Paul Sartre, datant de 44, résumé ainsi: «l’orientation psychopathologique des homosexuels assumés ou refoulés vers la collaboration, […] (est) essentiellement marquée par des attitudes féminines de soumission, de ruse et de séduction à l’égard des Allemands.» Buisson oublie de mentionner que Sartre, par la suite, a souvent soutenu la cause homosexuelle, mais il reconnaît l’influence certaine des préjugés médicaux et psychanalytiques de l’époque qui considéraient que l’orientation sexuelle prédétermine le comportement. Cela n’empêche que Buisson semble ne s’employer qu’à illustrer cette affirmation effarante en convoquant quelques personnalités qu’il accuse de fascination pour l’ennemi, tels Marais, Cocteau, Gide, Genet, Montherlant ou Peyrefitte, ou encore Abel Bonnard, ministre de l’Education nationale, délicieusement surnommé «Gestapette», et accusé d’incarner «la collaboration active et la pédérastie passive». Que Klaus Mann ait décodé ces attaques nauséabondes ne l’empêche pas de les colporter. «On n’est pas loin d’identifier l’homosexualité au fascisme. [ …] On est en train de faire de l’homosexuel le juif de l’antifascisme», disait déjà l’écrivain allemand en 1934.

Un faux livre d’histoire
Une avalanche de citations orientées suffit-elle pour faire une analyse historique? «D’un point de vue scientifique, juge Mickaël Bertrand, spécialiste de l’Histoire contemporaine, l’ouvrage est très mauvais. Il utilise naïvement des témoignages sans jamais se poser de questions sur l’objectivité des personnes qui s’expriment et il ne les remet jamais en question. On ne sait pas si ces personnes ont témoigné pendant la guerre ou quarante ans plus tard, ce qui est très différent car la mémoire recompose. Il cite beaucoup d’articles de presse de droite, voire collaborationniste, et jamais de journal de gauche.» Cette accumulation d’anecdotes sur la sexualité de quelques individus effare également Annie Lacroix-Riz, spécialiste de l’Histoire des relations internationales: «Ce qui me frappe, c’est la ressemblance de ce type d’ouvrage avec la presse d’extrême droite. L’une des spécialités de Minute dans les années 60 était justement de s’étendre sur la sexualité de l’ennemi, les arabes à l’époque, de les accuser des pires abjections.» Expliquer la défaite française par la débauche et l’homosexualité lui semble par ailleurs aberrant: «Y avait-il moins de bordels ou moins d’homosexuels de 1914 à 1918? La sexualité n’explique pas les prises de décision politiques, ni la défaite soigneusement programmée par Vichy.» (Voir encadré) Pour Mickaël Bertrand, le livre est d’autant plus pernicieux qu’il aborde le sujet très intéressant en soi de la sexualité pendant la guerre: «Une grande partie des hommes était à la guerre, les femmes étaient seules avec ceux qui restaient… Ces quatre ou cinq années ont été un grand moment de liberté sexuelle, bien plus qu’en mai 68.»

Beaucoup de bruit pour rien
Faut-il s’étonner du succès d’un livre ayant une couverture médiatique aussi importante et un titre aussi racoleur? Pour Annie Lacroix-Riz, ce type d’ouvrage est tout simplement dans l’air du temps: «Entretenir l’intérêt des gens pour les people, leur sexualité, leur argent, c’est éviter de développer une réflexion politique. Il vaut mieux que les Français pensent que la France a perdu la guerre à cause d’une débauche de sexualité plutôt qu’à cause de leur classe dirigeante. L’indignation des Français a été canalisée sur les femmes tondues. Pourtant jusqu’en août 44, au moment de la libération, des tractations financières continuaient entre les banques françaises et les occupants allemands. On habitue les gens à croire ce qu’on veut. Le succès du livre nous en dit long sur l’état d’esprit des Français aujourd’hui…» Comme toujours, le tapage médiatique autour d’un détail permet de faire oublier le fond. Quant à ce que l’on sait de la vie des homosexuels sous Vichy, pour Mickaël Bertrand, il serait bon à présent de faire une synthèse: «Aujourd’hui, on connaît l’homo victime et l’homo collabo. Il est temps de découvrir les homos résistants, héros de la patrie.» Finalement, de la vie quotidienne des gays et des lesbiennes sous l’occupation allemande, on ne sait toujours pratiquement rien, alors que les archives sont désormais accessibles…

1940-1945, Années érotiques de Patrick Buisson, Albin Michel
Le site d’Annie Lacroix-Riz: http://www.historiographie.info/
Le blog de Mickaël Bertrand: http://histoiredememoire.over-blog.com/

Les homos fichés? Déportés?

On a retrouvé 63 déportés français pour motif d’homosexualité. «Mais on peut supposer qu’il y en a eu plus, précise Mickaël Bertrand. Pour les lesbiennes, c’est encore plus compliqué car, en tant que femmes, elles se devaient d’être beaucoup plus discrètes. De plus, lors de la déportation, elles étaient classées ‘droit commun’ ou ‘asociales’. Pourtant il reste beaucoup de questions en suspens. Des lesbiennes ont-elles été tondues à la libération parce qu’elles n’auraient pas accompli leurs devoirs de femmes, comme l’avancent certains historiens [1]? On sait aussi que l’on a tondu des hommes. Pourquoi? Avaient-ils couché avec des Allemands?» Les homosexuels ont-ils été déportés à la suite d’un fichage? «À l’échelle nationale, nous avons retrouvé deux dossiers de fichage, le premier concernant le port de Toulon, où l’on surveillait les homos civils et militaires de peur qu’ils ne portent atteinte à l’honneur des militaires. Le second à Cannes et Nancy où les maires ont essayé de mettre en place un système de surveillance des homosexuels qui se livraient à la prostitution. Mais il s’agissait d’initiatives personnelles, ponctuelles, qui ne répondaient pas à des directives nationales et avaient peu de conséquences. Les homos ont subi des discriminations sociales, mais ni juridiques, ni politiques. Ce qui veut dire que ce que veut faire Sarkozy avec le fichier Edvige, même Vichy ne l’a pas fait…»

Les raisons de la défaite

Si les débauchées et les homos ne sont pas à l’origine de la débâcle, à qui alors doit-on cette fameuse défaite française en à peine deux mois? Dans un ouvrage paru il y a deux ans [2], Annie Lacroix-Riz démontre que la défaite a été minutieusement préparée par le gouvernement français qui a préféré ne pas se battre afin d’importer les modèles de dictature italienne et allemande. La France vivait une situation de crise économique grave, or les dictatures italienne et allemande avaient été capables de vaincre les revendications salariales de manière exemplaire, de se débarrasser du parlementarisme et des syndicats. C’était là un important facteur de séduction. De plus, l’Allemagne était un gros partenaire commercial de la France mais aussi un énorme débiteur. Un défaut de paiement aurait pu couler ses partenaires économiques. Les banques centrales et privées ont préféré ne pas contrecarrer les visées de l’Allemagne afin de lui donner les moyens de régler ses dettes. Si les Américains ont fini par intervenir, c’est parce que les Allemands leur faisaient trop de concurrence notamment en Amérique du Sud…

[1] Voir La France “virile” : Des femmes tondues à la libération de Fabrice Virgili, Payot
[2] Le choix de la défaite, Armand Colin

2 thoughts on “Tous collabos les homos?

  1. si vous n’aimez pas ce livre vous aimerez :
    Patrick Cardon

    Discours littéraire et scientifique fin-de-siècle.
    La discussion sur les homosexualités dans la revue du Dr Lacassagne,
    Les Archives d’anthropologie criminelle (1886-1914)

    – autour de Marc-André Raffalovich –

    Orizons, 2008, collection “homosexualités”

    « L’inversion sexuelle […] va devenir une des questions de l’avenir ».
    Marc-André Raffalovich (1896)

    De 1886 à 1914 paraissent les Archives d’anthropologie criminelle qui veulent révolutionner la notion de criminalité (école française de Lacassagne contre école italienne de Lombroso). Les débats sur l’homosexualité y sont particulièrement importants. Tout en donnant un aperçu sur la conception typiquement fin-de-siècle de cette sensibilité, ils mettent en avant la personnalité toute littéraire de Marc-André Raffalovich qui tenta de devenir le Magnus Hirschfeld français.

    Patrick Cardon, docteur ès-Lettres et diplômé de Sciences Politiques présente ici un travail qu’il a actualisé depuis plus de vingt ans et qui a inspiré l’édition de nombreux textes précieux pour l’histoire culturelle des homosexualités au sein de GayKitschCamp.com (QuestionDeGenre/GKC)

    La collection « homosexualités » répond à un besoin d’accessibilité rapide aux documents et études nécessaires à l’élaboration actuelle de l’histoire culturelle – pluridisciplinaire – dite LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, queer et intersexe). Ce sera la continuation de la bibliothèque tentée par Michel Foucault. Et dans son esprit.

  2. Que pouvait-on attendre de ce “cher” Monsieur Buisson ?
    A part un pamphlet d’inepties, bref, un torchon…

    Mais tout le monde sait bien que tous les malheurs de la planète sont dus
    aux femmes et aux homos voyons !!! Pfff…
    Et il est directeur de la chaîne Histoire cet engin-là ? Je me disais bien qu’il y avait énormément de documentaires sur le 3ème Reich…

    Même en cadeaux j’en voudrais pas de ce livre! Trop coûteux comme papier toilette… lol

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