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Gilbert & George, hommes objets

Gilbert & George, hommes objets

Autoproclamé «sculpture vivante», le duo Gilbert & George a choisi pour emblème la cravate. Remède anti-establishment, on doit au tandem des performances mythiques.

Ils se sont rencontrés en 1967 et ont décidé de poursuivre ensemble leurs études entamées séparément à la très renommée St Martin’s School of Art de Londres. C’est là que Gilbert Prousch et George Passmore vont se découvrir, s’associer et surtout s’aimer pour la vie. Forts de ce coup de foudre intégral, ils font des coudes pour se faire accepter – non sans difficultés – en tant que couple d’artistes et mettent alors en place ce qui deviendra un projet au long cours, unanimement salué aujourd’hui encore. Leur concept est simplissime mais il détonne pourtant sans aucun égal dans le paysage artistique de la fin du vingtième siècle. Debout sur une table, vêtus à l’identique du même complet veston étriqué à trois boutons, d’une chemise blanche et d’une cravate, ils vont réaliser des performances qui resteront gravées dans les annales. Ils opèrent aussi bien dans les musées que dans les bouches de métro et chantent avec le plus grand sérieux des airs populaires anglais empruntant leur répertoire au music-hall poussiéreux. L’un tient à la main une paire de gants, l’autre un parapluie. Lorsque le refrain s’achève, ils échangent leurs accessoires puis reprennent en chœur leur petite ritournelle, tels des automates. Et ainsi de suite, pendant des heures.

Très vite, les duettistes vont attirer l’attention du public car ils viennent de mettre au point un concept génial: l’œuvre d’art, c’est eux! Abolissant toute distance entre l’artiste et l’œuvre à proprement parler, ils s’autoproclament «sculptures vivantes» et à partir de 1969, ils apparaissent régulièrement dans leurs costumes, marchant comme des robots ou chantant une vieille rengaine de music-hall impassibles et quasiment immobiles, le visage enduit de peinture rouge ou métallique.

ART FOR ALL
Ces shows minimalistes hypnotisent littéralement le spectateur lambda auquel le duo se réfère directement, non sans y avoir ajouté au passage une étrangeté envoûtante. D’autant que pour aller au-devant du public, le duo ne se produit pas uniquement dans des musées ou des galeries, mais aussi dans des night-clubs et des salles purement rock, entre les concerts.

Pas élitistes pour un sou, Gilbert & George ne ménagent pas leurs efforts et commencent simultanément à militer pour un art vivant qui s’adresse à tout un chacun, dans un langage simplifié, abordant des préoccupations universelles. Ils résument d’ailleurs leur croisade artistique en un slogan: «Art for all», pour le plus grand plaisir d’un public de plus en plus vaste. Très soucieux de rester accessibles au plus grand nombre, ils délaissent définitivement les beaux-arts classiques jugés trop archaïques et s’orientent rapidement vers de grands montages photographiques, immédiatement reconnaissables et très ironiquement inspirés des vitraux de l’église anglicane, leur ennemie jurée.

De plus en plus subversifs
Une multitude de très grands montages photographiques aux codes rigoureux vont alors être produits durant plusieurs décennies de manière systématique, contenant des messages de plus en plus subversifs. Ils sont composés de panneaux assemblés et cernés de noir à la manière de vitraux du Moyen-Age – légèrement aromatisés de constructivisme russe – où l’on retrouve immanquablement la même charte de couleurs: noir, blanc et rouge. Ce n’est qu’en 1980 que surgissent d’autres couleurs vives, criardes et contrastées jusqu’au paroxysme, tandis que les compositions deviennent monumentales: certaines pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de haut sur 11 mètres de large.

La Tate Modern ne s’est d’ailleurs pas encore tout à fait remise du crucifix en étrons.

Multipliant les autoportraits mimétiques en tenue d’Adam souvent équivoques où ils posent auréolés à côté de l’agrandissement d’études au microscope de sang, d’urine ou de sperme, leurs compositions néo-gothiques scabreuses et anticléricales font parler d’elles. La Tate Modern de Londres n’est d’ailleurs pas encore tout à fait remise du crucifix en étrons ornant le centre de l’une de leurs fresques monumentales sobrement intitulée Shitty World. En perpétuelle représentation à la scène comme à la ville, Gilbert & George n’en ont pas moins réalisé en un demi-siècle une oeuvre abondante et multiple, toujours aussi vivace et dont ils demeurent le pivot central, abordant et mélangeant tour-à-tour de manière imagée des sujets tels que la jeunesse à la dérive, le sexe hardcore, l’alcoolisme, l’homophobie, le racisme , la religion ou la mort, avec un flegme désarçonnant de britishness.

» Pour en voir plus gilbertandgeorge.co.uk