Bras de fer œdipien
Dans cette chronique, je continue à discuter avec Julien. Un homme cisgenre, hétéro, avec qui je partage certaines de mes pensées. Il est fictif, sans être irréel. Julien ça pourrait être toi, moi et/ou nous.
Cher Julien, tu ne vas pas en croire tes oreilles. Lors du traditionnel repas de famille du dimanche soir, mon paternel, un homme d’une carrure forte et virile, me charrie en me proposant un bras de fer. Il me demande, «Tu penses que tu me bats maintenant?» D’un rire jaune, je réponds qu’évidemment je ne le bats pas. Il me semble inimaginable que moi, je le batte lui. C’est encore trop tôt dans ma transition, je n’ai pas encore atteint ma masse musculaire finale, me dis-je pour me rassurer. Mais je pratique tout de même des heures innombrables de sport chaque semaine. Bon, je décide de me prêter au jeu et j’accepte le défi œdipien: vais-je vaincre le père?
Paume contre paume, coudes collés à la table, yeux rivés l’un sur l’autre, le combat débute. L’impensable arrive, je suis en possession d’une force supérieure que celle que je combats. Enjoué et acclamé par la foule – c’est-à-dire ma mère – j’enfonce la main de mon paternel dans le bois de la table.
Incroyable, je ressors vainqueur. Une grande fierté s’empare de moi. Mes deux parents me fixent avec des yeux écarquillés. «Comment est-ce possible?» s’exclament-ils. Cette fierté est vite remplacée par une triste dysphorie. L’étonnement surdimensionné de mes proches provient de leur intime croyance que je reste une femme, et qu’une femme, ça me bat pas son père au bras de fer.