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DoxyPEP, la pilule magique contre les IST?

DoxyPEP, la pilule magique contre les IST?

Une seule prise de doxycycline après un rapport permet de prévenir les infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes comme la syphilis, la chlamydia ou la gonorrhée. Cette affirmation est de plus en plus présente dans nos communautés et pour cause, certain·e·x·s ont commencé à utiliser cette stratégie dite de la DoxyPEP. Mais si cela est vrai, pourquoi est-ce que les autorités et les organismes de prévention n’encouragent-ils pas à le faire et ne favorisent-ils pas son accès? Point de situation.

Créé dans les années 1960, la doxycycline est aujourd’hui un des antibiotiques les plus largement utilisés, y compris en Suisse, à l’hôpital comme en cabinet: de la sinusite aux infections urinaires, du traitement de l’acné à la prévention de la malaria, les indications sont diverses et nombreuses. Cette médication est d’ailleurs aujourd’hui le traitement de premier choix pour la chlamydia et un traitement alternatif pour la syphilis.

Des études récentes en France et aux États-Unis semblent prouver une très grande efficacité dans la prévention des IST bactériennes: pour les hommes cisgenres et les femmes trans, la prise d’une seule dose de doxycycline après les rapports – une stratégie communément appelée DoxyPEP – permettrait de prévenir 70% à près de 90% des infections par la syphilis ou la chlamydia. En revanche, une étude menée au Kenya n’a démontré aucune efficacité pour les femmes cisgenres. Sur la base de ces données, après les autorités allemandes, c’est au tour des Centers for Disease Control and Prevention des USA (l’agence fédérale en charge de la protection de la santé publique) d’émettre des recommandations pour l’utilisation de cet antibiotique en prévention de ces IST. Pourtant, cette position ne fait pas l’unanimité, loin de là. Des spécialistes de la médecine ou de la santé publique appellent à la prudence, voire s’opposent à une telle utilisation et tirent la sonnette d’alarme.

Trouver un équilibre dans la balance risques/bénéfices

Inutile de le rappeler: tout sortilège a un coût. Dans le cas présent, il s’agit des risques pour la santé individuelle et publique lors de la prise de cet antibiotique. La doxycycline est bien connue, et sa consommation est généralement bien tolérée, même sur des périodes de temps relativement longues. Pour autant, il est recommandé de monitorer la toxicité (rein, foie…) et de prévenir les coups de soleil dus à la photosensibilité générée par le traitement. Par contre, on ignore aujourd’hui l’impact potentiel de la prise répétée d’antibiotiques sur le microbiote intestinal et ses conséquences (prise de poids, augmentation du cholestérol et du risque de diabète, etc.). Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’une prise régulière peut contribuer au développement de résistances des microorganismes à ces médicaments. Le développement de résistances est une préoccupation mondiale majeure car le risque principal serait de se retrouver avec des pathogènes pour lesquels plus aucun traitement n’est efficace. Dans le domaine des IST, des bactéries comme la gonorrhée ou mycoplasma genitalium (responsable notamment des urétrites) sont déjà largement résistantes à la doxycycline. C’est ce qui explique la moindre efficacité, y compris prophylactique, de cet antibiotique contre la gonorrhée, en particulier en Europe. Cette résistance pourrait augmenter mais aussi se développer pour d’autres microorganismes et/ou d’autres antibiotiques.

Le jeu en vaut-il la chandelle? Les bénéfices possibles dépassent-ils les risques potentiels? Des analyses de données notamment dans des cohortes de personnes qui utilisent la PrEP et de personnes vivant avec le VIH tendent à montrer qu’une minorité de personnes recevraient une majorité des diagnostics d’IST bactériennes. Un dépistage trimestriel semblerait ainsi ne pas être suffisant pour prévenir un nombre important de transmissions entre ces personnes et leurs partenaires. Ainsi, selon des modèles mathématiques, si les personnes les plus exposées recouraient à la DoxyPEP, cela permettrait de réduire le nombre et la durée des infections asymptomatiques dans ce groupe et donc le nombre de transmissions à une échelle plus large.

Trouver un chemin pour la Suisse

Avant tout, il faut définir les critères qui permettent de déterminer, pour une personne résidant en Suisse, si les avantages de prendre la DoxyPEP sont supérieurs aux risques encourus. Si l’on regarde le recrutement des études existantes, cela semble être le cas pour les hommes cisgenres et les femmes trans ayant des rapports sans préservatif avec plusieurs partenaires cis-masculins chaque mois ou durant certaines périodes de l’année. Dans leurs cas, la prise prophylactique, régulièrement ou plus ponctuellement, pourrait permettre de prévenir des infections qui auraient de toute façon dû être traitées par antibiotique suite à un probable diagnostic lors du prochain dépistage. Cela pourrait ainsi permettre de réduire le nombre de traitements pour les individus (et les centres où ils font leur suivi) mais aussi le nombre de transmissions à leurs partenaires (qu’il aurait fallu si possible informer et souvent traiter après le diagnostic).

Éthiquement, il ne semble pas acceptable de refuser l’accès à un traitement s’il est démontré que celui-ci permet à un individu de réduire la probabilité de contracter et de transmettre une infection. Du point de vue de la santé publique, il ne semble pas non plus pertinent de renoncer à un outil efficace qui permettrait de contribuer à enrayer les épidémies grandissantes d’IST au sein de certains groupes de population. Pour autant, les risques doivent être gérés à la fois au niveau individuel mais aussi collectif. C’est pourquoi un monitorage des résistances est essentiel tout comme l’étude de l’impact des antibiotiques sur le microbiote et ses conséquences. Malheureusement, en Suisse, les coûts liés aux analyses nécessaires sont élevés et restent souvent à charge des individus.

Au final, pour DoxyPEP comme pour nombre d’enjeux liés à la santé notamment sexuelle, la question est politique. S’il est accessible aux personnes pertinentes, en l’espèce celles qui sont le plus exposées aux IST, cet outil pourrait contribuer à améliorer la santé individuelle mais aussi collective. Il ne semble pas que les prescriptions pour cette utilisation en dehors des indications habituelles changent drastiquement la donne sur la consommation de cet antibiotique largement prescrit par ailleurs. En revanche, les craintes liées au développement des résistances ou de l’impact sur le microbiote sont légitimes, mais cet enjeu dépasse largement la question de la seule DoxyPEP.