L’âme Moschino
Pressé de confectionner l’avenir, Franco Moschino meurt à 44 ans en 1994 après avoir façonné une vision de la mode du nouveau millénaire avec 30 ans d’avance.
Les humains vont et viennent, les images restent. En 1994, des rêves pleins la tête à 22 ans, je file à Lugano pour étudier la mode et goûter à la dolce vita. Si le Tessin s’avère aussi excitant qu’une carte postale, l’Italie voisine me fait lourdement de l’œil. Côme le jour, Milan la nuit, ma petite bande de «club kids» et moi, on attend le weekend avec impatience pour aller danser jusqu’au bout de la nuit dans les clubs gay La Segreta et Pape Satàn.
Dans la capitale de la mode italienne, les vitrines rivalisent de glamour. Tout est plus beau, tout est plus haut qu’ailleurs. Découvrir l’éclat du chic et l’art souverain de l’apparence Via Monte Napoleone, l’expérience est étourdissante et inoubliable pour le petit Suisse que je suis. Rentrer chez Versace s’avère alors aussi hasardeux que de pénétrer au Berghain à Berlin, les physionomistes ne laissent entrer que les «rich & famous» dans l’antre à la méduse. Donatella est encore dans l’ombre de son frère Gianni. Gucci renaît alors de ses cendres sous l’impulsion de l’américain Tom Ford et son esthétique porn chic. Dolce & Gabbana gouverne le monde avec ses collections pour l’homme, la femme et ses parfums sexy. Mon instinct pop me guide naturellement chez Fiorucci. Mais le nom qui me marque le plus, c’est Moschino. En lettres capitales.
Allure de mafioso sexy
Éduqué culturellement par les frasques parisiennes et le curseur stylistique d’ultra-genré à non-genré de Jean-Paul Gaultier, je trouve en Moschino son pendant italien. À l’instar du couturier français, Franco Moschino excelle dans l’art de déjouer les codes. Il voulait devenir peintre, il est devenu un des designers les plus marquants de son époque. À travers ses collections, il met son pays face à sa schizophrénie, entre un caractère ultra-sensuel et des croyances religieuses profondément ancrées. Moschino est à la base de la déflagration pop dont le classicisme italien a tant besoin. Surtout, il s’amuse. Derrière sa moustache et son regard de mafioso sexy, Franco érige Olive Oyl, la fiancée de Popeye, en icône de mode absolue et égérie du parfum de sa ligne Cheap & Chic.
À contre-courant, Franco adopte une posture typiquement dada en appelant à un arrêt du système de la mode par le biais de ses publicités dans les magazines. Il ne craint rien. Discret sur sa vie privée, il provoque la pudibonde Italie avec sa mode sous forme de manifeste. Il est une inspiration pour toute une génération de personnes LGBTQ+. Une révélation pour moi. Le 18 septembre de la même année, Franco meurt dans sa villa au bord d’un lac à Brianza. Il a 44 ans. Après sa mort à la suite de complications dues à une tumeur abdominale, il est déclaré publiquement qu’il était atteint du sida. Oui, les humains s’en vont. Mais les images restent.