Autriche: la folle rumeur qui gêne les homos
Jörg Haider est-il gay? En Autriche, la rumeur de longue date prend de l’ampleur depuis que l’association homo HOSI-Wien a pris discrètement l’initiative de la rendre «officielle». Entre sceptiques et convaincus, les homos autrichiens ne cachent pas leur malaise devant cette affaire.
«Face aux bêtises et aux salauds, je ne prends pas position», déclarait le 23 mars dernier Peter Westenthaler, porte-parole du Parti libéral de Jörg Haider (FPÖ), au journal viennois «Der Standard». Il faisait allusion à la rumeur, récemment publiée dans un journal allemand et «officialisée» par l’association viennoise Homosexuelle Initiative (HOSI-Wien), qui prétend que Jörg Haider préfère la compagnie des hommes. Oui, le politicien qui s’est construit sur un discours d’exclusion des minorités (étrangères) serait gay! Si la rumeur circule depuis longtemps, elle prend une nouvelle tournure en Autriche: pour la première fois, un journal à grand tirage en parle ouvertement et oblige le FPÖ à «réagir».
Est-ce bien ce que voulait la communauté homo en Autriche? En tout cas, HOSI-Wien, l’association viennoise qui vient de célébrer son 20e anniversaire, a habilement multiplié les indiscrétions, via l’étranger, pour que l’information sorte au grand jour. L’artisan de ces «révélations» s’appelle Kurt Krickler. Secrétaire général de HOSI-Wien, il est un militant bien connu en Autriche. En 1995, c’est lui qui, de sa propre initiative, avait «outé» quatre évêques homos autrichiens devant un parterre de journalistes. L’affaire avait fait grand bruit dans le pays et elle n’est d’ailleurs pas terminée: condamné pour «diffamation», Krickler a déposé un recours contre ce jugement devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
Un parfait outing
Loin d’être refroidi par ses démêlés avec la justice, le «spécialiste de l’outing» a remis la compresse. Ces dernières semaines, Kurt Krickler accordait volontiers des interviews à des journaux étrangers (à 360° notamment) pour dire sa conviction personnelle au sujet de l’orientation sexuelle de Jörg Haider. En Suisse, le bulletin de Pink Cross publiait ainsi à la mi-mars une interview de Krickler sous le titre prudent mais significatif: «Haider est sûrement gay». Mais c’est le journal alternatif berlinois «Taz» qui sortait l’article le plus explicite, le 21 mars. Une occasion que n’a pas laissé passer HOSI-Wien. Le 22 mars, l’association faisait parvenir un communiqué aux journaux autrichiens laissant entendre qu’elle connaissait depuis une dizaine d’années les nombreuses rumeurs qui circulaient à propos de l’homosexualité de Jörg Haider. Et d’affirmer, faussement candide: «Pour les lesbiennes et les gays, l’outing de Haider n’amène rien de positif. Il n’est pas une figure positive d’identification pour les homos et HOSI-Wien était content que Haider n’ait pas été outé jusqu’ici. Maintenant, il s’agit de s’accommoder du fait que des homos peuvent aussi être des personnes néfastes.» Plus loin: «Nous nous distançons en tous les cas de Haider et nous le répudions de la communauté homo.» Le 23 mars, le journal viennois «Der Standard» publiait un article sur cette explosive nouvelle. Le tour était joué.
Mais comment HOSI-Wien peut-elle être sûre que Jörg Haider est vraiment gay? «Aucune preuve n’a jamais été apportée, mais je suis convaincu de cela. En Autriche, les rumeurs à ce sujet circulent depuis bien longtemps», nous dit Kurt Krickler. Parmi les signes les plus évidents, à ses yeux, «le fait que Haider se soit entouré d’une véritable cour de jeunes politiciens très beaux; on la surnomme ici le Buberlpartie (ndr: parti des jeunes garçons).» En font notamment partie Karl-Heinz Grasser, le sémillant ministre des finances, et surtout Gerald Mikscha, 28 ans, qui vient d’être nommé secrétaire général du FPÖ. «Avant cela, Mikscha a été le secrétaire personnel de Haider pendant neuf (!) ans, rejoignant son chef durant ses vacances privées et ses voyages d’étude à l’étranger. Des magazines ont souligné qu’au cours de toutes ces années, les observateurs politiques ont à peine souvenir d’avoir vu Haider sans son secrétaire.»
Fantasmes et ragots?
Dans le milieu homo autrichien, les nombreuses histoires qui circulent sur Haider sont évidemment croustillantes et, aussi peu vérifiables soient-elles, apportent inévitablement de l’eau au moulin. On raconte par exemple que le politicien d’extrême-droite aurait eu une relation avec un acteur de série télévisée (Gedeon Burkhart alias Komissar Rex). On l’aurait également aperçu dans des boîtes homos de New York, ainsi que, anecdote piquante, dans un restaurant gay de Vienne: à son entrée, l’ensemble de la clientèle se serait levée pour l’applaudir… Pour Krickler, si les journaux autrichiens ne se sont pas emparés de la rumeur ces dernières années, l’explication en est simple: «Je pense que certains magazines politiques autrichiens ont des dossiers complets au sujet des préférences sexuelles de Haider. Mais ils ne veulent pas l’“outer” car ils n’ont aucun intérêt à détruire sa carrière politique: Haider aime les médias et il fait vendre. La dépendance est réciproque: personne n’a donc envie de tuer la vache à lait.»
Complot objectif entre les médias et le diable, lots de fantasmes alimentés tantôt par des relents d’homophobie, tantôt par la crainte, au sein de la communauté homo, de voir que ledit diable peut exister en son sein: il faut bien l’admettre, les éléments tendant à démontrer que Jörg Haider est gay présentent les traits assez caractéristiques de la fausse rumeur.
Aussi la théorie homo sur Haider est-elle loin de convaincre tout le monde: Alexander Rösch, dans un éditorial publié sur le site Eurogay.de, se moquait avec ironie de la «logique géniale» du «détective Krickler» et rappelait combien de personnages connus (de Di Caprio à Hitler!) ont déjà suscité pareils fantasmes. A ce sujet, l’écrivain autrichien Elfriede Jelinek, connue pour ses positions mordantes, défend une position intéressante. Elle considère Haider comme le «leader d’une clique masculine homo-érotisante qui joue consciemment avec les codes homos, sans, naturellement, se reconnaître lui-même homosexuel. Son ambivalence sexuelle lui confère un glamour qui fascine les masses, puisqu’il peut de manière égale, être Homme ou Femme.» Haider, homo assumé ou non, saurait en tout cas parfaitement jouer avec cette image…
Finocchio pour les ennemis
Quelles que soient les convictions et interprétations des uns et des autres, une chose est certaine: en Autriche, l’affaire suscite un certain malaise dans le milieu militant homosexuel. Une majorité de gays et des lesbiennes ne goûte évidemment guère à la perspective d’être assimilée à l’image de Haider. D’un autre côté, ils réfutent aussi l’idée, intolérable, que l’homosexualité présumée du politicien puisse être utilisée comme argument à son encontre.
Est-ce l’une des raisons qui ont poussé HOSI-Wien à faire accélérer, via l’étranger, le outing de Haider afin de mieux en contrôler les conséquences et d’anticiper son exploitation politique? C’est vraisemblable. D’ailleurs, le Parti démocrate-chrétien de Wolfgang Schüssel (ÖVP – conservateurs), du temps où il considérait encore Jörg Haider comme un ennemi avant de pactiser avec lui, a déjà tenté de faire «bon usage» de la rumeur. Lors de la campagne électorale pour les élections régionales en Carinthie en avril 1999, l’ÖVP (aujourd’hui partenaire dans la coalition avec le FPÖ) avait publié des annonces dans les journaux régionaux qui caricaturaient Haider avec le nez de Pinocchio. Dans le mot «Pinocchio», le «P» était remplacé par la lettre «F» du logo du parti, ce qui permettait de lire «finocchio», autrement dit «gay» en argot italien. «Interrogé à ce sujet par un journaliste, Haider avait esquivé la question d’une manière très professionnelle, sans donner l’impression d’être anti-gay ni de rejeter l’homosexualité», se souvient Kurt Krickler.
Les positions de Jörg Haider et de son parti vis-à-vis de l’homosexualité sont précisément sujettes à beaucoup de discussions au sein de la communauté gay. En 1996, Haider, alors député au parlement, s’était prononcé contre l’abolition de deux articles de loi discriminatoires à l’égard des homos (lire encadré). «De quoi largement justifier un outing», dit aujourd’hui Krickler. Mais récemment, HOSI-Wien a aussi déclaré publiquement qu’il entrevoyait une «certaine ouverture» du FPÖ de Haider vis-à-vis des revendications gays, alors que les conservateurs de l’ÖVP ont toujours mené une politique «dogmatique et fanatique» à cet égard. Une interprétation sujette à controverse: peut-on croire au semblant d’ouverture du FPÖ vis-à-vis de l’homosexualité, et peut-on même s’en réjouir, alors que le parti de Haider défend des positions d’exclusion pour d’autres minorités?, s’interrogeait en substance une députée verte dans «Lambda», le magazine de HOSI-Wien, en février dernier. Dans les milieux homos autrichiens, probablement que le débat ne fait que commencer.
Des lois archaïques
Jusqu’en 1996, les associations gays et lesbiennes étaient interdites en Autriche, tout comme la propagation d’informations susceptibles de présenter l’homosexualité de manière positive.
Si ces dispositions légales discriminatoires ont été abrogées, une troisième, toujours en vigueur, fixe à 18 ans l’âge de la majorité sexuelle pour les gays, alors qu’elle est de 14 ans pour les lesbiennes et les hétérosexuels. Le FPÖ s’est prononcé pour un compromis à 16 ans, ce que refuse HOSI Wien. Le 17 mars dernier, l’Union européenne, débattant des droits de l’homme, a critiqué sévèrement l’Autriche à ce propos. L’abrogation de cette disposition légale et la libération des personnes toujours emprisonnées en vertu de cet article est au centre des revendications actuelles des gays et des lesbiennes autrichiens. Ils réclament en outre le dédommagement des victimes homosexuelles du régime nazi, l’adoption d’une législation anti-discriminatoire, ainsi qu’une loi sur le partenariat enregistré. Mais sur ces derniers points, les homos cessent déjà de rêver. Tant que le gouvernement de coalition FPÖ-ÖVP est au pouvoir, il n’y a aucun changement à espérer.