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mer 5 juin, 19:30

Chattes et Caramail mous

La cyberdrague lesbienne tente de se faire une place dans les rayons du grand bazar Internet. En consommatrice téméraire, Green.Tara a testé pour vous.

Océane_Azur: – Salut, tu chattes avec moi?

La question a le bon sens d’être directe, au moins. Un tantinet époustouflée tout de même, je tente une réponse diplomatique et explique qu’il me serait fort agréable d’avoir un «chat», de l’anglais «to chat», tchatcher, mais que pour le reste on verrait plus tard. La réponse ne se fait pas attendre, une phrase rouge fluo m’informe sous le taquet «info» que Océane_Azur, charmante créature ondine, m’a éjectée. Boudiou! Voilà ce qui vous arrive quand vous passez de Laura Ingalls au dialogue en direct sur Internet sans upgrading! Autant regarder un dvd sur le gramophone de tante Rose-xMarie. On m’avait pourtant juré les grandes déesses que c’était simple comme chou et bien plus efficace que les bonnes vieilles annonces de L’Hebdo. N’empêche qu’avec L’Hebdo, quand l’annonce est en rouge c’est qu’en principe on a gagné le gros lot!

Mais alors que diable offrent Vogay, Swissgay.ch, Gay.com et Caramail.com, pour ne citer que ceux-là, de plus que les annonces des magazines, sinon l’immédiateté de la réponse? Eh bien, peut-être ce sentiment grisant sur lequel aucun linguiste n’a encore réussi à mettre de nom et qui nous offre la possibilité de ne livrer de nous qu’une partie précise qui, de plus, échappe aux contingences trop connues de notre espace-temps: un nouveau nom, un physique au doigt, à l’œil et à la langue, un passé vierge ou expérimenté et un futur où seul compte le libre-arbitre. Car même si les Web Masters croient avoir pris la place de Dieu dans cet univers parallèle, ils n’ont aucune emprise sur notre capacité à nous dévoiler ou nous dérober à l’écran de ceux que nous voulons charmer.

Or Internet offre bel et bien une nouvelle vision de la drague. Exit les journaux, c’est aujourd’hui sur le Web que ça se passe et il y en a pour tous les goûts. Ainsi Vogay fournit une salle aux murs maculés de petites cyber-annonces hélant la femelle selon différents critères: rencontre, amitié, amour, drague, sexe, hard. Jusque-là, rien de fort nouveau pourtant, le mot posté est un résumé des désirs que celle qui se cache derrière une adresse électro-nique (!) espère assouvir. Si ça plaît, on écrit, elle répond, on réécrit, elle rerépond et au bout de 52 messages imbibés d’un champ lexical nanaesque (rêve, lune, eau, attente, douceur), on fixe un rendez-vous.

Alternative: on clique sur le lien Gay.com et nous voilà propulsées sur un chat féminin! Formidable, me direz-vous! Voui, sauf qu’on se retrouve à 17 dans une petite lucarne et quelles vivent toutes en «région parisienne», une région qui, semble-t-il, s’étend jusqu’à la banlieue lyonnaise. J’aurai au moins appris quelque chose: les Parisiennes ratissent large! Et les romandes? Forte de cette relance, je tapote un adjeu bien helvétique que mes consœurs ignorent et sort sur la pointe des schlapps. J’appelle Search à la rescousse et l’instrument de recherche suisse me catapulte illico sur Swissgay.ch, un Eden entièrement voué homo qui, outre un milliard d’infos, me fait miroiter l’existence de six chat gays! Parlera-t-on enfin de minous? Seulement voilà: une fois éliminés les chats pour mecs romands et francophones, branchés army, cuir et sm, il n’en reste qu’un qui semble fournir une option «lesbiennes francophones», option qui se révèle être la lucarne parisienne de tantôt. Je tourne en rond, cela sans manquer de me rappeler le terrible sentiment d’impuissance que j’éprouvais lorsque je restais coincée entre deux pages d’un «livre dont vous êtes le héros», et que je mourais, bêtement aspirée par une nappe phréatique infestée de méchants zoargls, faute d’avoir sorti un double six.

C’est à ce moment que le miracle a lieu: ELSM.CH flotte en toutes lettres d’or sur mon écran, auréolé de Rainbow Flags s’agitant aux tempêtes magnétiques. Mon Dieu! La Terre Promise: «ELSM.CH, le site des filles qui s’aiment en Suisse Romande». La larme pointe et l’émotion me strangule alors que, tremblante, je dirige mon curseur vers le lien «chat»… Oh mondieumondieumondieu…

18h18, je suis dans la lucarne ELSM.Ch/chat et on m’annonce, très sérieusement, qu’il y a actuellement une seule utilisatrice dans le dialogue en direct: moi. Sans blague??? Diiingue!

Mais où sont les Femmes, méglotté-je! C’est sur Caramail.com, le programme chat de Spray.fr que je les trouve. Là, deux options s’offrent à moi: jouer les normales qui s’assument, me choisir un nickname et entrer dans le dialogue ou jouer les tordues du ciboulot, penser à l’envers histoire de faire de Spray.fr Yarps.fr, tombant ainsi sur la version gay du site et y remplir un formulaire compliqué qui me promet de dénicher ma partenaire idéale qui se cache par ailleurs sûrement dans les méandres de leur fichier. Je choisis l’action, me baptise Green.Tara, déesse guerrière bouddhiste et entre dans le monde saphique de Caramail.

Océane_Azure: Bon, alors tu chattes avec moi oui ou mrd?
Betterave_la_Brave, X-Mind, Ladyoscar, 69nolimits se succéderont en private chat sur mon écran à la vitesse de la lumière: elles veulent du cul ou de l’embrouille au paroxysme à l’image de Julie023 qui annonçant «la Louvière» en guise de lieu d’habitation, aura la délicatesse de m’informer que le dit lieu se situe «au fond de ton cul à gauche. Je le sais, car ton cul il est chargé à la chevrotine!» Je lui demande alors où elle en est avec les médics.
Julie023: – Médics? Connais pas!
Green.Tara: – Tu m’étonnes.

Et puis Milena qui «rêve d’une partie à trois», Sophie.mmmh «l’allumeuse aux mains baladeuses mine de rien» qui avoue mouiller vite, tout comme Sandra.Bello qui «veux mouillé mon srting!», car après tout le français a bien grise mine face à tant de langues coquines, sans compter les mecs qui, bravant tous les interdits, s’immiscent dans un des salons «lesbiennes sympas» et y avouent bander dur pour les goudous. Au fil des nuits, j’apprendrai qu’on va sur Caramail (Cara pour les intimes) parce que, comme Virginie, «soit tu te branles en tapant, soit tu fantasmes uniquement, soit tu tentes une rencontre». Je découvrirai encore que les filles restent méfiantes et chassent le mâle qui se cache en rose sous un pseudo de nana, en lâchant ici et là des questions bombes style «combien de pilules dans une plaquette» ou «qu’est-ce qu’un frottis?». Et puis que le sarcasme est de rigueur, qu’on tombe parfois sur quelqu’un qu’on connaît et que c’est nettement moins intéressant, qu’on finit par se retrouver à la tête d’un salon appelé «lesbiennes vicieuses échangent photos, créé par Green.Tara», qu’on se demande quelle *&)=* ?° de fausse manœuvre on a bien pu faire pour en arriver là et que les heures passent et se ressemblent. Car enfin, à quoi cela mène-t-il? Passées les discussions hard, les photos pêchées sur des sites pornos qu’on reçoit en guise de carte de visite, les rendez-vous au café du coin (rare!) et qui nous détaillent à quel point l’attirance est également une histoire d’épiderme, que reste-t-il?

Un plan cul pour celles qui aiment, des discussions éternelles autour d’un pot de chambre virtuel et la romantique certitude que la prochaine sera la bonne? Tout cela oui. Mais le sentiment aussi que la rencontre est possible. Elles furent rares celles avec qui naquit une prose tout en subtilité, qui consiste à se dévoiler plus qu’à se dérober, mais il y en eut: Karmadream m’offrit cela, une belle rencontre, une langue commune, avide de mots simples, une sacrée bouffée d’oxygène à la barbe des grognements lesbiens ambiants. Une histoire qui finit bien, avec échange d’e-mail et vœux mutuels de bonheur conjugal à la clé: car Karmadream est amoureuse et utilise Caramail pour «chatter» avec son amie que plusieurs dizaines de kilomètres séparent d’elle, mais elle n’est pas en chasse. Voilà peut-être la différence.

Le chat est une alternative de plus contre la solitude: plus moderne, plus branchée, plus rapide, plus mystérieuse et un tas d’autres petits plus qui ne parviendront pourtant pas à étioler la bonne vieille magie de l’amour au premier coup d’œil. N’empêche! Ils sont nombreux les adeptes. Peut-être parce que le masque que nous offre le net nous permet de vivre l’instant comme si demain n’existait pas, vivre le fantasme jusqu’au bout, en s’arrêtant juste avant que n’interviennent les petits défauts qui font d’une relation quelque chose de contraignant ou de merveilleusement réel. Le Carpe Diem absolu! N’oublions cependant pas que les épicuriens, détenteurs du copyright Carpe Diem, avaient également une piètre idée de l’Amour, lui préférant nettement l’Amitié, plus fiable et moins friable.

Oui, mais nous, c’est l’Amour qu’on veut, non? Ainsi, le linguiste ne finira-t-il pas par appondre à ce «sentiment grisant qu’offre les chat» le simple mot d’Espoir, sous une autre facette, espoir d’un soir, espoir d’un jour, mais espoir toujours?

Green.Tara@caramail.com