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mar 16 avril - dim 21 avril

Sexe, mensonges et vie de héros

Le chat permet de s’inventer une nouvelle peau. Mais sur le Net, l’homme virtuel, forcément beau, fort et performant, cherche-t-il éventuellement autre chose qu’une aventure sexuelle? «Enkidu» a testé pour vous.

Le soir, seul. Je m’ennuie, passant de la cuisine au salon et du salon à la cuisine. Je n’ai pas envie de voir des amis, pas envie de regarder la télé et encore moins une quelconque vidéo. Je fume.

Ce soir, je suis seul chez moi, sans rien à faire pour m’occuper. Pourtant l’envie de communiquer, de partager, l’envie de rencontrer quelqu’un me taraude. Alors, d’une main un peu incertaine, j’allume mon ordinateur, je me branche sur le Net – un frisson me gagne, je me sens l’âme d’un fraudeur – et je me connecte à un «chat» gay.

Là, tout m’est permis, je peux être celui que je veux, me transformer entièrement, devenir l’homme idéal, si je le souhaite. Une joie quasi enfantine se manifeste. Quel personnage vais-je être ce soir? Grand, fort, beau, intelligent, mais encore? Serai-je mystérieux, peut-être un brun ténébreux? Avec ça, une bonne dose d’humour, c’est toujours bienvenu. Sans oublier la (très) grosse pincée d’autodérision sans laquelle mon personnage risque de retomber, sans air, comme un piteux soufflé.

Et pourtant, si je faisais une véritable rencontre? Si, d’un coup, le masque choisi ne me convenait plus? Ou pire, si je restais prisonnier de ce masque, n’osant plus avouer que ce n’est pas moi, que je suis autre? Même le choix d’un pseudonyme me pose problème. L’effet devrait, en principe, être rassurant, le pseudonyme me garantissant un anonymat confortable. Mais le choix du pseudo signifie bien plus que cela. C’est un message que j’adresse, un portrait de moi, du moins le moi que je vais choisir. De mon personnage, c’est un nouveau baptême, ce peut être une consécration! Finalement je me décide, je choisis mon pseudo et précipitamment je me tape un cours C.V.: «Enkidu, 28 ans, Lausanne». Bref, quelque chose de vague et de circonspect, on verra bien. Seul devant mon Mac, j’ai l’impression d’aller à un rendez-vous et mon ventre se crispe de manière agréable et désagréable à la fois. Rapidement, quatre types me contactent et me saluent. Les quatre messages sont identiques:
– Que cherches-tu?
En voilà une question qu’elle est bonne! Sans trop y réfléchir, je réponds:
– Discuter.
Au moins je ne m’avance pas trop.
Le dialogue prend, pour l’instant, de manière parallèle avec Drew et Aspiretube (dont le pseudo a le mérite d’être clair). Aspiretube me propose immédiatement «Pompe, bourre et bonne découillée sur Lausanne»; Drew quant à lui est plus charmant, s’enquérant de la signification de mon pseudo et me trouvant, après explication, «le charme d’un intello» (c’est mieux que rien).

Le dialogue s’installe, agréable, presque douillet. Très vite, Drew se révèle, donne son vrai nom qu’il n’aime pas, son âge, sa profession, ses espoirs. Je me sens touché et je visualise ce lien électronique nous reliant. Deux personnes se rencontrent dans la virtualité et je ne peux m’empêcher d’essayer de l’imaginer physiquement. Qu’il doit être beau. Pendant ce temps, Aspiretube me parle de cul et me donne illico toutes ses mensurations jusqu’aux plus intimes: «190-88-30 ans 20 cm/5.5». Message minimaliste, pas une frappe de trop. Qui s’embarrasserait à écrire une phrase complète avec sujet verbe et suite du verbe? Même les ponctuations semblent vaines, seule l’essence du message compte.

– Oh, que tu es beau et fort, que tu as une grande personnalité, mère-grand!
Le mythe ithyphallique en genèse s’effondre; Aspiretube me confie soudain ses doutes, ses peurs, la distance qu’il prend par rapport au Milieu. Tel le roi Thoas de Tauride, il s’humanise. Drew s’en va, il est déjà tard. Il me communique son adresse e-mail et me demande: «Tu m’é&Mac178;cris?» Puis, comme je tarde à lui répondre, il me réclame de manière presque tragique, comme un enfant qui a peur d’être abandonné: «Tu m’écris, hein?!»

Choc. En une quarantaine de minutes, deux personnes que je ne connais pas m’ont dévoilé un petit bout de leur âme et l’une d’entre elles me donne même le droit d’avoir de l’importance dans sa vie!

A ce moment, Alex – «Hot Lausanne» – me demande: «Tu cherches quoi?» La question prend instantanément sens. En effet, qu’est-ce que je peux bien chercher, un dimanche à une heure du matin, seul chez moi, devant un ordinateur?
– Un peu de tendresse, un peu de chaleur.
A mon tour, je tombe le grand masque du sarcasme et me confie, comme ça, à un inconnu qui me comprend, me rassure. Malgré mon jeu de cache-cache, c’est bien de moi qu’il s’agit, derrière un pseudo vaguement intello. Il n’est pas possible de devenir autre, de transcender ses problèmes, et de jeter aussi facilement un peu de poudre aux yeux. Malgré la barrière qu’est l’ordinateur, son écran me réfléchit entièrement.

Alex aussi se révèle. Il est prêt à tout pour me connaître, pour me rencontrer, tout en me confiant pourtant sa peur de l’engagement. Refoulant mon sentimentalisme, je serre les dents et contacte Aniquernow dont le pseudo révélateur me semble thérapeutique. Paradoxalement, il ne veut que discuter une fois que je lui ai révélé mon goût profond pour la poésie romantique allemande du XVIIIe siècle. Une certaine complicité s’installe quand il me propose de faire du macramé ou de jouer aux chiffres et aux lettres.

J’entre alors, avec un certain soulagement, dans une dimension purement ludique. Le temps passe, je ne réfléchis plus, je pianote, je ris et je pianote encore. Nous avons l’impression de nous connaître.

Mais une nouvelle fois je retrouve les pieds sur terre. Le «chat» est là pour assouvir nos pulsions et nos envies sexuelles. YellowDrinker aime à pratiquer l’urolagnie, pourtant il ne connaît pas, fort heureusement pour moi, la douche romaine! Nous sommes à nouveau dans le concret, là où le virtuel prend une apparence très (trop) tangible et si le «chat» regorge d’hommes ne désirant que tirer un coup – Vidangexpress «après le boulot», Marck «pour H mariés actifs», Lushluke «pour bon plan hot» – derrière de nombreux pseudo se cachent des hommes qui ont simplement envie de se sentir moins seul, de faire une rencontre.

Drew m’a écrit un mail et je suis content de l’avoir rencontré, même virtuellement. Je ne sais pas si je vais le voir une fois «en vrai», dans le monde réel. Le net nous permet d’éviter la confrontation. Pourtant, si un jour j’ai vraiment trop envie, j’espère que tu seras là Drew, pour me serrer dans tes bras, fort.