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«Natsukashii»

«Natsukashii»

Pour les 25 ans du magazine, Jonas Pulver remonte le fil d’une décennie entre pop culture, Judith Butler, les harajuku girls et les sushis. 

«Natsukashii». Légère nostalgie, en japonais. Vague à l’âme d’une jeunesse éperdue, présence-absence des années envolées. 360° a 25 ans. Et moi, en 2008, j’en ai 26. Pour l’entretien d’embauche rue de la Navigation, j’essaie de faire mûr. Gueule du lendemain, un peu de barbe, quelques clopes. Je tapote la tête d’un petit chien, «mais voui t’es beau». Ça mord. Me voilà rédac chef, adjoint d’abord.  
 
Deux ans plus tôt, j’ai terminé des études de piano classique tout en rédigeant des piges pour Le Courrier, puis pour Le Temps, dont je rejoindrai plus tard la rédaction. L’encre me sauve de mes idées noires; j’écris sur Mozart et Mahler, mais aussi sur la techno, Daft Punk et la téléréalité. Spectacle de bonne société et société du spectacle. Mise en scène du monde et oubli de soi.  
 
Petit complot en plateau
Je remonte avec vous ce fil de 15 ans, niché au 50e étage de mon immeuble de Tokyo où j’ai déménagé en 2013, il y presque une décennie, désormais jeune quadra. La vie n’est pas qu’un roman, c’est aussi de l’algèbre. Faut savoir compter, les années, les kilomètres, les lecteurs, les followers. Les degrés. Saurai-je être à la hauteur? Mon truc, à 360°, c’était plutôt les tréfonds de nos imaginaires collectifs que la politique locale, plutôt Brüno, Tegan and Sara et les emos que les élections genevoises. On lançait aussi une rubrique à brac sexo avec la Doctoresse Catherine d’Oex, et puis un peu de santé femmes, avant l’indispensable guide de nos nuits romandes pas encore éreintées par Grindr. Et puis? La culture et les idées. Les moues photogéniques de Xavier Dolan, la jeune plume prometteuse de Sébastien Meyer, Stéphanie Pahud en linguiste de la publicité.  
 
Sur les plateaux de la RTS fin des années 2000, parler de visibilité pédé-gouine ça fait genre, mais pas encore gender. En fin d’émission, un présentateur à l’haleine de vieille gauche me lâche la question sans contrefaçon: Monsieur le Rédac Chef, y aurait pas comme un petit complot lgbt dans le paysage culturo-médiatique, non? Faire front. J’ai déjà de la répartie et les bonnes intuitions, mais pas encore la charpente, l’architecture.
 
Inventaire identitaire
Heureusement, de belles rencontres me structurent. Lou Lepori, tête chercheuse d’Hétérographe, défunte revue des écritures queer, me recommande Jacques Derrida – déconstruction premier cri. Bientôt je me jette dans Judith Butler, que j’aurai la chance d’interviewer des années plus tard. Je fraie avec Foucault. J’apprécie Preciado. J’arpente Despentes. Pas d’humanisme, mais des humanités. Je fais mes classes à 360°.  
 
C’est que j’ai des questionnements qui sévissent en coulisse. Queer, fils d’émigrée, futur immigrant moi-même, issu de la mixité (je suis à moitié asiatique), aujourd’hui résident étranger dans un Archipel souvent sidérant mais parfois essentialiste. Inventaire de mon petit théâtre identitaire. Et la carrière ? En 2009, j’ai beaucoup de choses à me prouver. Après une année, Le Temps me propose un 100%, exclusif. Je quitte, trop tôt, trop vite, la rédac chef de 360°, tout en gardant la mainmise sur la sacrosainte rubrique musique du mag.
 
Boule à facettes
Alors, chaque mois, je scrute les écrans de notre pop culture, grand miroir aux alouettes dans lequel se reflètent nos obsessions, nos mythes et nos étrangetés. Une boule à facettes, plutôt. Kaléidoscope de clichés pré-calibrés, mais aussi réservoir d’opportunités en réappropriation. Lady Gaga, gogo gadget. Mykki Blanco, gender ninja. Britney, poupée de Spears, Beyoncé, warrior du son. Sam Smith et ses blessures en blasons. Mais aussi Austra aux nappes astrales, Troye Sivan le très ciselé, ou encore les prophéties d’Anohni. La pop n’est jamais aussi puissante et séduisante que lorsqu’elle contient, en creux, le potentiel de sa propre subversion.     
 
«Mujo». Impermanence en japonais. Instabilité, éphémérité de toute chose. 2013, j’ai 30 ans, l’âge d’une nouvelle transition. Lausanne, Tokyo. Harajuku Girls, sushi et skyline infinie. Depuis les observatoires de Toranomon ou Shinjuku ou j’aime me hisser, je contemple la texture de la ville, j’admire sa sémantique, je cherche à en percer le code. Vertige et vanité d’un jeune voyageur. Entre les foules de Shibuya, les raffinements de Ginza et la sueur des bars de Nichome, quelle identité? Vivre à Tokyo, ou l’extase de s’égarer.
 
Parade policée
Fin 2016, j’ai rangé mon stylo à rallonge et ma panoplie de chroniqueur grande distance pour me consacrer à d’autres évasions. Je ne manque pas d’occasions de militer. Par exemple pour obtenir le droit de me marier avec mon compagnon de plus de dix ans. L’autre jour on est allés fouler les allées de Yoyogi, dans les rangs d’une Tokyo Rainbow Parade polie, soigneusement chronométrée mais non moins décidée. Et puis parfois j’écris, dans d’autres langues, sur l’art, la photo ou le ciné. Le Japon, en ce moment, frissonne de nouvelles manières plus réalistes, plus incarnées de représenter la diversité des genres et des sexualités.     
 
Quoiqu’il en soit, 360° continue de me manquer. Natsukashii!
Bons baisers.