Petite philosophie à l’attention des usagers des CFF

Chapitre 1: Où l’on apprend que rien ne sert de brûler les wagons restaurants (Du bon usage des voyages en chemin de fer).

Cher lecteur (pour des raisons pratiques, nous nous bornerons ici à employer le masculin au complet mépris du politiquement correct qui tend à transformer la moindre adresse en démonstration typographique aussi vaine qu’inélégante, et ce d’autant plus que le soussigné ne s’est vu octroyer qu’un maigre espace rédactionnel pour ses bavardages sentencieux…), nous vous proposons au fil de ces chroniques de transformer votre quotidien, ainsi que celui de vos camarades de jeu, en heureux monde de générosité et de plaisir grâce à l’énoncé de quelques règles pratiques qui ne manqueront pas de retenir toute l’attention de votre esprit sagace…
Dans les CFF donc, on veillera à privilégier la seconde classe en lieu et place de la première, pour des raisons financières d’abord (imaginez le nombre de voyages supplémentaires que vous pourrez vous offrir grâce à la différence de prix entre un abonnement général 1re et 2e, soit un peu plus de 2000 francs). D’autre part, les rencontres en seconde se révèleront bien plus surprenantes et bigarrées que ce à quoi pourrait prétendre un morne compartiment de 1re dans lequel n’errent jamais que quelques cadres d’assurances vie et un ou deux rédacteurs en chefs de quotidiens romands. Quand on voyage pour voir du pays, autant aller directement se mêler à la foule en délire qui peuple les paysages défilant sous vos yeux blasés.
De même, on donnera la préférence aux régionaux, voire aux omnibus. L’exotisme est au coin de la rue et les bourgades souvent évocatrices: Palézieux, Gland, Porrentruy, Goumoëns-le-Jus, etc.
Fumeur ou non, vous vous installerez automatiquement dans les compartiments équipés de cendriers: il faut encourager la tabagie dont l’impôt soutient l’AVS et résister contre la fasciste salubrité qui transforme les rames de trains en cabines de toilettes Mc Clean, aussi improbable qu’un ICN relooké par une cousine d’Andrée Putman schaffhousienne et sous acides.
Il est ensuite des gestes qui sauvent. Ainsi, on achètera sa bière ou son café au monsieur du chariot Elvetino Rail Bar plutôt qu’au wagon-restaurant. Il en va de la préservation d’un métier aussi pittoresque que nécessaire à l’intégration linguistique des immigrés tamouls que ne manque pas d’odieusement sous-payer la chaîne de trolley à boissons. Ce qui nous amène au point suivant…
Au moment de régler votre consommation, ne manquez pas de systématiquement arrondir au franc supérieur: non, 5 francs la bière tiède, ce n’est pas cher. Ce monsieur est venu jusqu’à vous pour la servir et rappelez-vous alors qu’une fois la nuit tombée vous promenez votre morne solitude dans des discothèques où vous êtes prêt à lâcher 20 francs après trois heures de queue au bar pour la même bière tiède…
Enfin, pensez à saluer avec le sourire le contrôleur suisse allemand qui vous fait la politesse de s’adresser à vous dans une langue que plus personne ne veut étudier outre-Sarine et qui doit par ailleurs se promener toute la journée déguisé en Playmobil. Votre bonhomie l’encouragera ainsi à fermer les yeux sur la date de péremption de votre abonnement.