Certains pros de la santé ne savent rien des homos
Les résultats intermédiaires d’une nouvelle recherche du CHUV le révèlent : des professionnels de la santé font preuve de préjugés à l’égard de jeunes gays. Et prodiguent même des conseils totalement inadéquats.
«Il faut que tu essaies avec une fille avant de savoir.» «L’homosexualité, c’est le mal; l’hétérosexualité, c’est la voie du salut.» Autant de propos tenus par Christine Boutin? Verdict d’un tribunal égyptien? Vous n’y êtes pas. Ce sont des soignants bien de chez nous qui se permettent ces mots et c’est l’affligeante réalité vécue par certains des jeunes homosexuels interviewés dans le cadre d’une recherche que mène actuellement le CHUV pour le compte du Fond National Suisse.
Une étude précédente (Cochand, Moret, Singy, 2000) avait permis de mettre en évidence la réticence des jeunes gays à recourir aux services du monde médical, qu’il s’agisse d’un médecin, d’un psy, d’une infirmière scolaire ou d’autres professionnels de la santé encore. Or on connaît les difficultés que traversent certains adolescents homosexuels lorsque se posent les questions du coming out: un stress important dû à la perspective d’annoncer la nouvelle à la famille et aux amis, des difficultés à intégrer une différence sexuelle que la société peine toujours à accepter, des angoisses face à un avenir pour lequel ils n’ont pas été préparés, etc. Si fort heureusement cette description ne correspond pas à tous les jeunes gays, elle peut néanmoins expliquer le fort taux de tentatives de suicide observé chez les adolescents homosexuels (de l’ordre de 25%).
Dès lors, contradiction: pourquoi des jeunes ne cherchent-ils pas de l’aide alors qu’ils en ont besoin? Pourquoi ne considèrent-ils pas les soignants comme des interlocuteurs potentiels, alors même qu’il n’est parfois pas possible de parler avec les amis ou la famille? La nouvelle enquête lancée par le CHUV vise à cerner la manière dont les jeunes gays se représentent les soignants et à donner par la suite des recommandations au monde médical.
L’équipe de recherche se pose trois questions centrales. La première consiste à se demander dans quelle mesure le soignant est perçu comme porteur d’un ordre moral qui empêcherait par là même d’aborder le thème de l’homosexualité. La deuxième vise à savoir si les jeunes patients rechignent à parler de leur orientation sexuelle par crainte de fuites au niveau de la confidentialité. Et enfin la troisième permet d’estimer les différences entre les interlocuteurs, différences qui pourraient porter préjudice à la qualité de la communication: il s’agit entre autres du genre, du niveau socio-culturel, de l’écart intergénérationnel, de l’orientation sexuelle, etc.
«Redevenir hétéro»
Il ne s’agit pour l’instant que de résultats intermédiaires, mais des tendances se dessinent déjà de façon claire. Il faut d’abord signaler, car ils existent, les soignants qui font preuve d’une ouverture permettant au jeune gay de s’exprimer. Parmi eux, il s’en trouve même qui prennent le rôle de médiateur vis-à-vis de la famille. Mais il y a aussi les représentants – à première vue en forte majorité – de la catégorie «pseudo-ouvert»: ce sont ceux qui sont d’accord de parler de l’orientation sexuelle de leur patient, mais en ne l’abordant que sous l’angle de la «crise passagère». Ces soignants parleront de «phase homosexuelle», et/ou n’accorderont aucune légitimité à l’histoire amoureuse qu’est en train de vivre le jeune gay. Plus grave, il y a encore les soignants qui provoquent l’arrêt des consultations, ce qui est évidemment un comble pour un professionnel de la santé. Il s’agit ici de ceux qui, comme il est dit plus haut, considèrent l’hétérosexualité comme la voie du salut, ou qui proposent une thérapie visant à «redevenir» hétérosexuel.
Si les jeunes interviewés semblent bien se représenter leur soignant comme porteur d’un ordre moral, il est plus rassurant de constater que ce n’est pas la crainte d’un manquement à la confidentialité qui les fait renoncer à consulter: la majorité d’entre eux affirment en effet qu’ils ont confiance en leur soignant, quand bien même ce dernier montrerait une attitude négative par rapport à leur orientation sexuelle. Enfin, l’estimation des différences entre les interlocuteurs ne permet pas a priori de dégager de règles générales, ces différences relevant plutôt d’un registre propre à chaque interviewé: tandis que certains d’entre eux signalent des difficultés à comprendre ce que raconte leur soignant, d’autres mettent en avant le fait qu’ils auraient eu plus de facilité à parler à une femme, et d’autres encore qu’ils se seraient sentis plus à l’aise de parler à un homosexuel.
Les professionnels de la santé ne font donc pas exception à la règle: ils montrent autant d’homophobie, de préjugés et d’attitudes stigmatisantes que le reste de la population. Il y a donc matière à réflexion pour des personnes supposées adopter une position neutre et aider chacun à vivre mieux.