Un peu d’ouate dans un monde de brutes
Calvin Klein est le premier à avoir érotisé le slip masculin. C’était en 1982. Aujourd’hui, pour vendre le slip blanc emblématique, la marque propose un éphèbe australien dont on s’arrache l’image de New York à Berne. Gonflant?
Impossible d’être passé à côté si on vit à Genève, Zurich, Berne ou Bâle. Le dernier visage de la marque Calvin Klein Underwear a occupé six cent cinquante emplacements sélectionnés pendant quinze jours. Avec ses cheveux blond surfeur, sa moue diversement interprétable, ses pecs et plaque affrios, Travis Fimmel a déclenché le même engouement en débarquant sur nos trottoirs que l’automne dernier, lors du lancement de la campagne à New York. Là-bas, réquisitionné par CK à des fins de promotion, le jeune Australien de 22 ans a manqué d’être débordé par les fans qui ont voulu l’approcher et obtenir un autographe qu’on lui a demandé d’apposer sur une affiche ou directement sur un slip.
Ici, à défaut de tournée, restait aux admirateurs les plus affirmés à prendre leur téléphone pour demander un exemplaire à la société d’affichage (SGA), à l’agence de publicité ou directement à la société distributrice de Calvin Klein. Hélas… Pas une affiche en rab, ni même assez pour que la SGA puisse remplacer celles qui ont été détériorées. Calvin Klein laisse peu de liberté à ses distributeurs. Tout est décidé et contingenté depuis Londres. Quelle frustration pour ceux qui ont pris leur courage à deux mains. Qui sont-ils? Selon les responsables à l’agence, les demandes ont été exclusivement masculines, selon Larema, la société distributrice, il y a bien eu quelques demandes féminines, mais qui, «franchement, n’avaient pas plus de 15 ou 16 ans». En tout une quarantaine d’appels et certainement dix fois plusd’admirateurs silencieux. L’éphèbe a donc cartonné auprès des gays, ce qui correspond bien à l’image de la marque…
Originaire d’une petite ville australienne, l’ex-fermier a quitté ses parents à 17 ans, a été découvert dans une salle de Melbourne puis a atterri à Londres. Quelques jobs plus tard, il débarquait sans le sou à Los Angeles avant d’être casté et retenu par Calvin Klein. Commentaire de l’intéressé, ignorant apparemment qu’il était choisi pour poser en slip: «Quand j’ai eu le job, je me suis senti un vrai con». Un con dont le contrat d’une année comporte six chiffres en dollars, tout de même. Selon la marque, après Mark Wahlberg, Michael Berg et autres apollons bodybuildés, Fimmel inaugure une ère d’hommes plus fins, plus enfantins. L’objectif n’est plus de sculpter son corps dans les salles et de le transformer, mais d’être naturellement athlétique et svelte. Facile, non?
Cette idée d’accessibilité de la perfection sous-tend toute la communication cosmétique féminine. Cosmétique à comprendre au sens large, puisqu’en plus des gommants, hydratants, lissants, sculpteurs, réducteurs, galbants, raffermissants et consorts, elle inclut aussi les yaourts style e=mc2, les eaux alliées, les fibres et les desserts qui ne sont plus des péchés. Elle entretient l’illusion de la perfectibilité à défaut de la perfection. Pour démystifier les canons proposés, les médias se font fort de démontrer les trucages qui permettent d’atteindre l’idéal. Retouches photo permettant de gagner dix centimètres de jambes, d’effacer des hanches, de gommer un ventre, lisser la peau, transformer une déjà belle en plus belle encore. Pour les hommes, malgré le développement d’un secteur cosmétique qui leur est réservé, l’idéal n’empruntait qu’une route, celle, astreignante, conduisant aux salles de sport. En sous-entendant que le corps idéal est naturellement athlétique, CK suggère qu’à moins d’être né musclé, rien ne sert de chercher à se développer. Et Travis d’enfoncer le clou en affirmant être «la personne la moins saine qui soit». Reconnaissance d’un clivage irrémédiable entre les bien et les moins bien lotis ou manipulation? Depuis vingt ans, Calvin Klein a contribué à façonner les canons de la beauté masculine. La norme qu’il veut aujourd’hui faire passer pour réaliste est un leurre…
De l’imagination dans le tag
De Zurich à Genève, phénomène courant lors des campagnes de lingerie H&M, bon nombre des affiches Fimmel ont inspiré les tagueurs: «J’suis beau, j’suis viril», «J’suis à vendre», «Pipeau», «Y’a de la ouate…»s l’homme objet concentre la majorité des commentaires sous la ceinture, comme si on n’avait retenu du sujet que le slip et son renflement. Jean-Marie Bigard s’était déjà attelé à l’exercice de l’exhibitionnisme masculin avec l’affiche de son spectacle «Bigard met le paquet». Dans l’enregistrement DVD de son spectacle, un supplément permet de voir la réaction des gens devant l’affiche du «paquet» moulé. Gêne, réprobation, malaise, doute… L’humoriste affirmait que le but de l’affiche était de nous rappeler que nous avons tous un corps et que c’est en-dessous de la ceinture que nous sommes tous égaux. Aïe…
Si l’on suit CK et que l’on abandonne les références gonflettes au profit de modèles naturellement athlétiques et sur-virilisés, il y a fort à parier que ça ne va pas améliorer l’ego du mâle lambda. Alors, foin de mystères. Certains l’ont deviné, confirmant ce qui se sait chez les professionnels. Les modèles de sous-vêtements portent toujours des coques en mousse qui ont pour but de maintenir le sujet en position photogénique et de le valoriser en créant un renflement suggestif. Voilà qui devait être dit.
La marque de lingerie allemande Mey a sa vision du slip idéal. En montrant un couple en twin set, elle affirme «On cherche tous à créer des liens durables. Mey les a déjà». «La relation idéale ressemble aux slips élasthan de Mey. Ils vous soutiennent sans être contraignants. Ils sont souples, mais ne se déforment pas. Ils sont auprès de vous les bons comme les mauvais jours. Qui refuserait autant d’avantages?» Personne espère-t-on certainement autant chez Mey que chez CK. Quant aux femmes, généralement assez promptes à admirer ou plus les corps masculins, laissez-nous deviner pourquoi Fimmel les a laissées de marbre. Elles ont d’abord vu sa moue. Et elle ne présage rien de bon.