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T-shirt, le dessous prend le dessus

Moulant ou marcel, le T-shirt a toujours forgé l'identité communautaire chez les gays et les lesbiennes. Alors qu'un livre retrace la formidable épopée symbolique de ce qui n'était au départ qu'un banal maillot de corps, de nouvelles tendances se dessinent déjà : la pièce unique, comme pour dire "je ne ressemble à personne ".

Un document remarqué, « T-shirt » de Charlotte Brunel, paru aux éditions Assouline, a sorti du placard un vêtement qui se portait plutôt sous les autres et que la mode, la pub et la politique ont exhibé sans pudeur. Trendsetters naturels, les gays en ont fait leur seconde peau depuis sa création au début du XXe siècle. Depuis cette époque, l’imaginaire homo s’est focalisé sur le T-shirt, ce vêtement tout simple au fort pouvoir érotique pour l’ériger en étendard communautaire. En forçant à peine la caricature, la panoplie du gay ordinaire comporte au minimum le T-shirt moulant, tandis que chez les lesbiennes, le tank-top ou marcel recrute toujours des adeptes.

Véritable vitrine anatomique, le T-shirt souligne le moindre détail de la musculature et véhicule des promesses bien plus intimes. Le choisir XXS (skinny en anglais) permet à coup sûr de mettre en valeur la plaque de chocolat que tout pédé doit avoir laborieusement ciselé sur l’abdomen. Yann Gerdil-Margueron qui, avec Javier Fontes, vient de lancer Analogon, un label d’édition d’arts appliqués, revient sur la relation épidermique entre le gay et son T-shirt. Pour lui, « le phénomène gymqueen, conséquence directe des années sida et la démocratisation du clubbing dans les années 90 ont une part importante dans l’omniprésence du T-shirt ». Moqueur, il ironise sur « les heures de muscu nécessaires pour construire un corps sain et parfait. Le T-shirt supermoulant est le seul vêtement qui atteste de ces heures d’efforts sur les machines ». Et puisque la mode des années 90 est à la techno(logie), les gays boudent alors le trop basique 100% coton au profit des nouvelles matières, principalement le lycra qui épouse si bien ce corps que l’on montre.

Pourtant, à ses origines – au début du XXe siècle -, le T-shirt se porte caché, comme maillot de corps, pour ses vertus hygiéniques et de pratiques. La puissance érotique qu’il dégage vient précisément du fait qu’il est en contact direct avec la peau. Contrairement aux femmes, les hommes ne disposent pas de dessous chics affriolants qui peuvent exciter leurs fantasmes. Les gays s’emploieront à détourner ces vêtements très peu sophistiqués en les chargeant d’un érotisme torride. Ils y parviennent même avec le slip kangourou (c’est dire !) qui lui aussi aura son heure de gloire. Il suffit d’une marque branchouille sur l’élastique qu’on laisse dépasser du jean et le tour est joué !

Un emblème à fantasmes
Un sous-vêtement rendu visible a tôt fait de ravaler le corps masculin au rang d’objet sexuel. Hollywood l’a parfaitement compris : James Dean a rarement quitté son célèbre T-shirt immaculé. Quant à Marlon Brando dans « Un tramway nommé désir », son marcel déchiré lui confère un indéniable sex-appeal. Le nouveau territoire érotique que se sont appropriés les homos trouve une explication dans la nature des premiers utilisateurs du T-shirt : les militaires américains. Plus exactement les gars de la marine. Dès le début du XXe siècle, il est intégré au paquetage réglementaire du marin puis du GI. Les sportifs l’adoptent à leur suite. Ainsi paré des qualités de bravoure, d’endurance et de virilité, il se charge de signifiants masculins propres à entretenir les fantasmes gays. En 1944, porté sur le torse des GI&Mac226;s, il devient le symbole de l’Amérique conquérante et puissante, de quoi faire rêver les homos au même titre que les bas-nylon pour les femmes et le chewing-gum pour les enfants.

Ses accents guerriers seront relayés par les créateurs de mode et plus encore par un ancrage maritime. Versace, Gaultier traduisent le fantasme du T-shirt rayé du matelot à travers leurs collections, le second allant même jusqu’à l’arborer comme emblème personnel. D’ailleurs, il le décline pour son parfum Le Mâle sur le flaconnage, le packaging et la campagne publicitaire. Le marin au visage d’ange photographié par Pierre et Gilles renvoie à Cocteau, Genet, Cadmus, Tom of Finland, ces artistes homosexuels qui ont promu la marinière au rang de bannière communautaire.

Parce qu’en sortant de l’anonymat et en osant se montrer au grand jour, le T-shirt invente un nouveau langage. S’il exprime une sexualité, il souffle aussi un vent de révolte. Uniforme des bandes sur les campus américains, il renforce l’appartenance au groupe. Pour les homos, le T-shirt devient identitaire. Dans la lignée des mouvements contestataires des années 60 qui s’en servent de support pour leurs slogans, les associations gays et lesbiennes y inscrivent leurs revendications. Act-Up habillera ses militants à chaque action coup de poing d’un T-shirt spécialement créé pour l’occasion. A Genève, voici quelques années, le patchwork de San Francisco est reproduit sur des T-shirts puis montré au public à Palexpo. Aujourd’hui, le sentiment identitaire se teinte de paradoxe. Yann Gerdil-Margueron insiste sur les contradictions : « On voit Lionel Baier défiler à la Pride avec le T-shirt à la croix suisse, les nationalistes arborer le même T-shirt et Expo.02 refuser tout drapeau! ».Il semblerait que chaque individu qu’elle que soit sa tribu, le porte pour des raisons très personnelles.

Sa version sans manche, le marcel des congés payés, exhale des relents prolos, plutôt sexy pour les hommes qui cherchent à s’encanailler. Plus viril, plus mauvais genre que l’authentique T-shirt, le marcel dénude un peu plus en exposant bi et triceps aux yeux de conquêtes potentielles. Foncièrement machiste de l’avis des femmes qui le détournent tandis que les lesbiennes, butches, camionneuses et autres, l’élèvent au statut d’icône. De Lara Croft à Demi Moore dans « GI Jane », la tank girl joue les gros bras, les plus délicates préférant les tops à fines bretelles. La matière 100% coton de l’attribut, véritable madeleine de Proust, leur rappelle sans doute les inséparables culotte+T-shirt Petit Bateau de leur enfance!

Le culte du moi
Autre adéquation entre T-shirt et homos : le culte du moi auquel satisfait le vêtement. Au-delà du look, le T-shirt constitue un média perso. Si, dans les années 70-80, il s’apparente à un symbole de la consommation de masse, il joue désormais la carte de l’exception. Infiniment soucieux de son apparence et singulièrement narcissique, le gay customise l’objet, cherche à dénicher le vintage ou le collector dans l’espoir d’être unique. Ainsi apprêté, il peut se pavaner avec la certitude de cette différence qui lui confère un sentiment de supériorité sur une masse de clones.

La logique individualiste exacerbée, le T-shirt entre dans une ère nouvelle :  » Il n’est plus supposé transmettre un message à l’autre mais à soi-même », aux dires de Yann Gerdil-Margueron. Analogon va lancer une collection répondant à cet autre besoin. Des T-shirts seront découpés dans de longues bandes de tissus sur lesquels figureront des femmes nues pixelisées à outrance et donc méconnaissables sur petit format. L’acheteur saura quelle partie du corps de ces femmes il affichera sur lui, mais pas les gens en face.

Alors si la tendance, selon l’initiateur d’Analogon voudrait que « le concept branché disparaisse » et que les gays puissent enfin échapper aux codes tyranniques de la mode et des attitudes, le T-shirt a encore de beaux jours devant lui, dans sa version élaborée, vous l’aurez compris, parce que l’original est tout sauf PD. Pour les fashion-victims, il en reste : le prochain trend, ce serait la combinaison : pas la nuisette, mais plutôt le pyjama !

T-shirt de Charlotte Brunel, éditions Assouline