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Un logo dans la peau

Les marques ont trouvé un nouveau filon pour se profiler: le marketing identitaire. Rebaptisé, tatoué, l’homme-sandwich du troisième millénaire est arrivé.

Imaginez. Vous vous appelez Ferrero. Depuis des années, surtout depuis que la pub télé a marqué les esprits, on vous appelle Monsieur – ou Madame – l’ambassadeur en pouffant, on réclame systématiquement des rochers à vos soirées. Vous laissez passer. Depuis le temps, vous êtes habitué(e) à ce que votre patronyme révèle les humoristes que vous rencontrez. Vous vous contentez, une fois de temps en temps, de pester contre ceux à qui vous le devez.

Imaginez maintenant que votre homonyme commercial, la société Ferrero, vous offre de transformer cette source de gêne en source de revenus. C’est-à-dire que l’une d’entre elles vous propose, contre rétribution, de modifier un tout petit peu votre nom de manière à ce qu’il devienne Ferrero-Rocher, histoire d’en faire une opération marketing. Qu’en penseriez-vous? On peut s’amuser à imaginer le même scénario avec quantité de marques: la famille Kinder deviendrait les Kinder-Bueno, les Pfister, Pfister-Meubles, etc, etc.

Délirant? Cette proposition, la société Goodyear l’a portant faite à la fin de l’année dernière aux quelque mille Canadiens anglophones qui portent le nom Dunlop. Sous le titre de Tired of Your Name, c’est-à-dire «Lassés de votre nom?» (en anglais, «tire» signifie à la fois lassé et pneu), la marque de pneus a offert environ 25’000 francs suisses à répartir entre les candidats intéressés. Ils sont quatre à avoir fait le pas et écouté les invitations de la marque à «se distinguer». Depuis mars, Traci, Jason, Bill et Peter s’appellent Dunlop-Tire. Pour quelque CHF 6’000.– plus les frais de changement, ils sont payés pour que l’on se moque d’eux pendant un an.

Cette expérience de marketing identitaire, une première mondiale, a été pré-testée. Decima Research a enquêté au Canada pour savoir comment un changement de nom à des fins commerciales serait accepté. Le sondage révèle que 42% des Canadiens pensent que troquer son nom contre celui d’une marque va devenir une nouvelle forme de marketing institutionnel; 37% prendraient le nom d’une marque s’ils étaient bien payés pour cela. Précision d’ordre culturel: 42% des Canadiens anglophones pourraient envisager de changer de nom contre seulement 29% des Québecois. Enfin les hommes sont 41%, contre seulement 20% des femme, à dire qu’ils céderaient leur identité contre de l’argent. Les femmes, qui abandonnent pourtant gratuitement (!) leur nom en se mariant, et les francophones – moins influencés par les USA? – se montrent donc plus attachés à leur nom d’origine.

A partir de maintenant, appelez-moi Turok
Si les aspirants canadiens possédaient déjà la moitié du nom d’une marque, ce n’était pas le cas des quelque 10’000 Anglais qui ont répondu à l’invitation de la société Accor Entertainment. Conceptrice d’un jeu vidéo tournant sur PlayStation 2, Gamecube et Xbox, elle les a invités à prendre le nom de Turok. Turok, le héros du jeu, est un guerrier indien projeté dans un monde parallèle, qui passe son temps à combattre des dinosaures doués de la parole. «Votre identité est votre meilleur capital – profitez-en!». C’est le message qui invitait les gens à changer de nom. Femmes (!) et hommes indistinctement ont pu postuler pour devenir, selon Shaun White, chef de la communication chez Acclaim, des «publicités vivantes et ambulantes, qui vont parler à des dizaines de milliers de personnes». Ils sont cinq à avoir cédé à l’appel des sirènes. Cinq à avoir reçu un peu plus de 1000 francs suisses, une console Xbox et quelques jeux vidéos pour prix de leur dépersonnalisation. C’est peu, ce qui permet de penser que c’est plus la perspective d’une gloire facile et éphémère – tendance phare de la TV réalité – qui a attiré les gogos.

Acclaim affirme ne rien attendre de particulier de ses nouveaux ambassadeurs. La société mise sur la curiosité des milliers de personnes auxquelles les Turok d’adoption expliqueront l’origine de leur nom. Pionnière du marketing identitaire, elle a aussi misé sur l’effet médiatique de cette première. Elle ne manque pas non plus de suite dans les idées puisque la maison-mère aux USA a lancé un second avis de recherche. Wanted? Le premier bébé né le dimanche 1er septembre – jour du lancement du jeu – et prénommé Turok. Il recevra 10’000 dollars de crédit pour ses études futures s’il porte pendant une année au moins le nom du héros virtuel. Acclaim Entertainment, avec un sens de l’humour particulier, espère que la question «C’est un garçon, une fille ou un chasseur de dinosaures?» deviendra culte. A voir…

Ces premières tentatives de marketing nominatif ne devraient pas gagner le reste de l’Europe. C’est en effet une particularité des systèmes législatifs anglo-saxons, le deed poll, qui permet aux citoyens anglais, américains et canadiens de changer de nom et de prénom à leur guise. Pour éviter toute confusion, les candidats font habituellement une déclaration unilatérale qui est enregistrée au Bureau central de la Cour suprême. En Suisse, pas question de devenir Mec Meubles, Zorro, Lara Croft ou Pierrot Lusso. L’état civil ne consent à la modification d’un nom que si preuve est fournie qu’il cause un tort moral ou professionnel. Et même dans ce cas-là, vous aurez droit à une retouche (Ducor au lieu de Ducon, par ex.), plutôt qu’à un nouveau patronyme. N’empêche… Que Turok n’ait pas pu prospecter en francophonie a évité à certains de s’entendre dire d’une voix voulue préhistorique à l’énoncé de leur nouveau patronyme «Toi Roc? Moi Pierre».

Acclaim et Dunlop explorent les frontières du marketing. Si leur stratégie de marquage humain ne leur a pas coûté très cher, ces sociétés n’ont pas non plus la garantie de son efficacité. Les marques investissent des millions pour choisir des ambassadeurs célèbres, minutieusement sélectionnés pour leur capacité à incarner leurs valeurs. En marquant des inconnus qu’ils ne contrôlent pas et dont ils ignorent tout, quelle garantie pourraient-elles avoir d’une représentation positive de leur produit?

Un swoosh sur le bras
Le marketing nominatif n’est que le dernier avatar des expérimentations en matière de marquage humain. Il y a deux ans, profitant de la situation financière précaire des écoles canadiennes qui peinent à s’équiper en informatique notamment, les marques franchissaient un nouveau pas. Fast food, livres, méthodes et TV scolaires, elles étaient déjà très présentes. Nike, Pepsi et Guess ont innové en lançant le programme de sponsoring «Tatoue-toi aussi!» dans les écoles secondaires. Son principe: l’école reçoit un montant forfaitaire calculé en fonction du nombre d’élèves «volontaires» pour se faire tatouer un swoosh ou un autre logo stylisé… Quatre élèves tatoués, un ordinateur pour l’école. Et pour chaque volontaire, un défraiement plus un rabais de 20% sur les produits de la marque. Les élèves étaient, paraît-il, ravis d’aider leur école. Leurs parents, moins. Question de consentement, le programme a été interrompu. Mais l’idée résiste puisque depuis, pour gagner une console, on a vu un Berlinois se faire tatouer le logo PlayStation 2 sur la fesse. Et vous, combien coûterait la peau des vôtres?