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Judith Butler sème le trouble

LITTERATURE - En 1990, dans un contexte où émergent aux États-Unis les politiques sexuelles et minoritaires, Gender Trouble marque tant les esprits qu’il bombarde l’américaine Judith Butler, professeur de rhétorique et de littérature comparée à l’université de Berkeley, au premier rang des chercheurs sur le genre. Aujourd’hui, avec le recul et dans l’action, puisqu’elle est militante, il est intéressant de savoir ce que pense cette personnalité très écoutée des questions-clé qui traversent l’activisme LGBT et féministe. Le colloque organisé à Paris pour la sortie du livre nous a donné l’occasion de l’interroger.

Quinze ans, c’est long, et même si les nombreux ouvrages qu’elle a écrits depuis lui ont permis de préciser sa pensée, on a envie de demander d’emblée à Judith Butler si sa vision de l’identité queer a beaucoup évolué depuis Trouble dans le genre (c’est le titre en français). «Oui, j’ai beaucoup changé de position. Mais le queer n’est pas précisément une identité. Pour moi, “queer” forme plutôt un verbe: “queeriser” quelque chose, c’est le dévier de son cours, le transformer à nos fins. Si la politique et la théorie queer sont nées en réaction contre les stratégies identitaires, c’était justement pour montrer que les éléments constitutifs de l’identité pouvaient être changés, et que l’identité ne pouvait pas fonder la politique féministe. Dans Trouble dans le genre, je réfléchis à la “subversion” de l’identité.»

L’identité, grande question en effet. En s’appuyant sur une lecture croisée de tout un pan de la philosophie française contemporaine, Wittig, Foucault, Lacan, Beauvoir, Irigaray et Kristeva entre autres, Judith Butler constate le pouvoir et la violence des normes sociales qui façonnent, gouvernent et imposent la binarité des genres et l’hétérosexualité. Pour elle, les genres sont performatifs, ils peuvent être mouvants et multiples: personne n’est «genré» à la naissance. Les drag queens sont l’exemple classique de subversion des catégories de genre. Finalement, nous nous travestissons tous sans pour autant imiter un original. Mais aujourd’hui, Butler relativise notre marge de manœuvre: «Il faut revoir notre vision du volontarisme et du déterminisme. Les normes qui nous imposent notre genre, nous font adhérer au genre, sont justement celles que nous modifions par notre façon de les investir. Nous avons une capacité d’agir mais elle n’est pas complètement libre. Nous sommes conditionnés par des normes, qui ne nous déterminent cependant pas totalement. Dans cet espace, il y a une possibilité d’improvisation.»

Encore subversifs?
Pour la théorie queer, être gay, lesbienne, bi ou trans, c’est subvertir la norme sexuelle. Mais ne reproduit-on pas aussi certains schémas? Peu importe, nous répond Judith Butler, «c’est en répétant les normes que l’on est subversif. Quand on dit “reproduire des schémas”, on pense à une reproduction mécanique dépourvue d’esprit critique. Mais la “reproduction” peut donner lieu à une subversion. Si une personne née femme reproduit le “genre” masculin, peut-être se conforme-t-elle à une norme établie, mais il est fort probable qu’elle subvertit cette norme, qu’elle la “queerise”.»

Les performances subversives peuvent cependant devenir des clichés et même une valeur marchande. Cette récupération n’est-elle pas un obstacle? «Absolument, mais cela veut dire que nous devons penser des représentations du genre qui puissent aussi supporter l’épreuve d’une critique de la commercialisation. Il est important, cependant, de ne pas rechercher à tout prix la pureté. Nous ne pourrons avoir une action efficace qu’en intervenant sur le mécanisme qui génère le normal et les évidences en le pervertissant.» La défense du mariage gay, institution normale par excellence, entre-t-elle dans la même démarche? «Il est important de lier la revendication pour le mariage gay et lesbien à celle pour l’homoparentalité, répond Butler. Bon nombre de filiations transgressent déjà la norme du couple hétérosexuel. Je pense aussi qu’il est important de considérer les formes de relations sexuelles qui ne peuvent pas être décrites comme maritales ou conjugales. Les relations sexuelles expérimentales permettant de critiquer la norme sociale du mariage et de la famille sont essentielles. La filiation peut signifier autre chose que la famille et il y a des liens durables, pas toujours sexuels, qui dépassent la norme maritale.»

«Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion» de Judith Butler, La Découverte

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Le voile en question

«Pour un féminisme de la subversion», tel était le sous-titre original de Trouble dans le genre en 1990. Pour Judith Butler, qui se dit autant féministe que théoricienne queer, le féminisme sera-t-il à l’avenir encore lié à la subversion? D’emblée, et curieusement peut-être, c’est le lien entre féminisme et islam qu’elle évoque: «Pour moi, il est essentiel de comprendre comment le féminisme est vécu et pensé au sein de l’islam. Je m’oppose à toutes les initiatives visant à interdire le voile, par exemple, et je pense que le féminisme doit s’engager dans les débats sur la laïcité, son histoire et ses limites.» Des propos qui nécessitent une réaction, fournie par Leïla Babès*, professeur en sociologie des religions: «Ce ne sont pas les islamistes qui ont permis aux femmes d’accéder à la scolarisation, au monde du travail, à la rue. C’est là une avancée acquise grâce à des décennies de lutte féministe, grâce à des femmes qui, elles, ont ôté le voile pour tenter de mettre fin à des siècles d’oppression.» En 1990, Judith Butler entendait dénoncer la violence imposée par la norme identitaire. Applique-t-elle toujours ce principe quand elle parle de féminisme et d’islam?

* Auteure de «Le voile démystifié», Bayard, 2004